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Mercredi 7 Septembre 2022

Sand Springs, Oklahoma, USA
Mannford, Oklahoma, USA
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24,8
Kilomètres

Jour 94

Le plus difficile en ce moment (à part la chaleur, les animaux morts, marcher sur du bitume, les camions) c’est de se réveiller le matin. Quand mon réveil sonne entre cinq et six heures, je ne sais jamais où le chercher pour l’éteindre. Je mets un moment avant de recaler tout dans ma tête pour comprendre où je suis. À 7 heures, j’ai profité du lever du soleil sur la rivière Arkansas. C’était beau à en tomber. Juste après, j’ai bifurqué sur la droite pour prendre la 51 West sur laquelle j’ai marché jusqu’à mon étape du soir. C’était tout droit sans ombre ni fin. Il a fallu de la patience et laisser faire mes jambes. Mais cela n’a pas suffi. Le soleil voulait ma peau. Pour le supporter, j’ai occupé mon cerveau. À force de vivre au jour le jour pour être en vie chaque soir, j’en oublie presque cette marche dans sa globalité. Son but. Son sens. J’essaie d’avoir le moins d’impact possible sur la planète. Je l’arpente et la touche à tous petits pas. Je ne laisse aucune trace. Au contraire, avec ma collecte, je fais disparaître quelques objets qui traînent au sol. Il y a tellement d’ordures partout. Depuis mon départ de New York, si j’avais ramassé tous les détritus que j’ai vu, on aurait pu remplir plusieurs fois le lac Mead avec. Juste avec les canettes et capsules de Budweiser on l’aurait fait déborder. J’aurais aimé camper plus souvent, mais à part pour les RV géants, il n’y a pas de campings qui acceptent ma petite tente sur mon chemin. C’est compliqué éthiquement pour moi de devoir aller dans des motels chaque soir. Comme le fait de ne pas avoir réussi à arriver à New York en cargo comme prévu initialement. Mes nuits au motel sont mes seules dépenses, avec la nourriture. Et ça, pour celles et ceux qui me suivent depuis le début, vous avez compris que ce n’était pas simple. Je suis effarée par les déchets que je produis à moi toute seule, même en faisant le plus attention possible. C’est pour cela que les premières semaines je ne réussissais pas à manger. Tout ce que je voyais me dégoûtais. J’ai dû faire des concessions nécessaires à ma survie. Pour l’eau, j’essaie d’acheter le moins de bouteilles en plastique possible. Je remplis mes Thermos dans la salle du petit-déjeuner des motels quand c’est faisable, ou je me faufile dans les clients quand je passe devant un McDonald’s pour squatter la fontaine à eau que de toute façon personne n’utilise. Je fais tout ce que je peux pour être la plus délicate et invisible. Même si je n’ai sauvé que 3 tortues sur les centaines que j’ai vues éclatées sur les routes, c’est déjà 3 vies épargnées. Je sais très bien que tout cela ne sert pas à grand-chose à l’échelle de la planète tant que les industriels ne feront pas d’efforts et que les joueurs de foot millionnaires ricaneront. Mais je le dois à Psyché. Je ne peux pas l’abandonner en allant Nulle part en jet privé ou en jetant du plastique dans les forêts. Pour rappel, ce n’est pas pour rien que je l’ai choisie comme alter égo parmi tous les personnages de la mythologie. C’est avant tout une aventurière curieuse et amoureuse, mais surtout, dans le texte du 11ème siècle qui raconte son épopée, à chaque fois qu’elle est en danger ou souhaite en finir tellement les épreuves infligées par Venus lui semblent insurmontables, elle est sauvée ou aidée par un élément naturel. Le vent, l’eau, l’herbe, les fourmis… Alors nous allons nous séparer en étant les plus tendres et attentives possible à chaque petite chose qui vit, à chaque territoire que nous aurions dû laisser respirer. Je pense à tout cela en plein barbecue géant sur la 51. Mais ce n’est pas facile quand à chaque fin de montée la route repart jusqu’à ne devenir qu’un point lointain sans offrir une once d’ombre. C’est la fournaise. J’implore Herzog de me donner de la force, lui qui est allé si près des volcans au péril de sa vie et qui a tant marché. Et je remercie à voix haute chaque petit nuage qui cache à de rares instants le soleil. Je retrouve la rivière Arkansas qui étend ses bras et prend ses aises pour devenir le lac Keystone. C’est là mon étape. Je prends ma chambre et après ma douche, et une lessive, je m’offre la récompense du jour. Un long moment de calme et d’absence au bord de l’eau.

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Mardi 6 Septembre 2022

Jeudi 8 Septembre 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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