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Jeudi 8 Septembre 2022

Mannford, Oklahoma, USA
Drumright, Oklahoma, USA
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38,8
Kilomètres

Jour 95

Il y a des étoiles plein le ciel quand je quitte le motel, la nuit est noire, le soleil ne se lèvera que beaucoup plus tard. Je me rends compte à quel point le temps est passé depuis mon départ. Je me lève bien trop tôt maintenant, il est impossible de marcher avant 7h, je ne vois absolument rien, je ne distingue pas si je pose le pied dans un trou ou sur une bosse. J’attends dans une station-service que le ciel rosisse un peu à l’horizon pour marcher moins dangereusement. Mon étape est longue aujourd’hui, j’essaie un maximum d’avancer avant la lourde chaleur. Je suis à nouveau sur la 51, et, lorsque le soleil se lève, je vois apparaître un phénomène naturel d’un romantisme fou. La brume forme comme un pont au-dessus de la route entre deux forêts. Comme pour faire passer les fées ou la reine qui doit être entrain de passer l’arme à gauche à ce moment-là. God bless America et save the queen, tout le monde le sait. Je savoure sans retenue la fraîcheur matinale, l’ombre, la brume, la rosée car je sais que dans quelques heures, le soleil va brûler toute ma détermination. Peut-être qu’un jour la fraîcheur n’existera plus du tout. Plus personne ne connaîtra cette sensation de façon naturelle. Alors je la bois, je la mange, je la hume, je la lape, je la lèche à chacun de mes pas. Pendant que la circulation mystérieusement disparaît et me laisse dans un silence qui me foudroie de calme, je contemple depuis un pont Cottonwood Creek. Le paysage est juste sublime. Mes yeux s’y perdent. La rivière serpente dans les hautes herbes entre les arbres. Je suis, l’espace d’un instant, comme transportée ailleurs, hors du monde. La photo Nowhere du jour que je réalise alors est bien incapable de retranscrire ce moment. À 8h30, quand le soleil commence à faire son malin, et qu’il est donc temps de mettre ma casquette et de boire tous les quarts d’heure, je bifurque sur la gauche sur une route très peu empruntée, et à partir de là, pendant plus de 4 heures, je vais enchaîner les petits chemins qui feront des angles droits Sud-Ouest régulièrement. Tandis que la route est très large et qu’un 4x4 vient de passer à toute vitesse, j’aperçois une tortue qui tente une traversée. My Trump qu’elle est belle. Complètement différente des précédentes, et pas du tout farouche. À aucun moment elle ne se cache sous sa carapace. Je lui fais juste survoler la route en lui disant des mots d’amour et la regarde partir dans les herbes. Nous ne sommes pas si différentes finalement. Elle porte avec elle sa maison comme je tracte Werner, et lentement elle arrive là où elle a décidé d’aller. Il y a quelques jours, Nicolas Laura Graff, qui entre autres gère le site ROAD TO NOWHERE, mais est aussi un « Sense 8 » de mon fils (né la même année, le même jour à la même heure) et surtout un jeune artiste brillant, m’a écrit un magnifique texte. Il me parle de Chélone, une oréade d’Arcadie dans la mythologie grecque, qu’il voit comme une militante rebelle, qui, pour avoir désobéi, est changée en tortue. Qu’est-ce que j’aime croiser le chemin de Chélone. Mais plus souvent je rencontre des chiens. J’adore les chiens mais eux détestent Werner. Alors je dois gérer. Dès que je les vois ou les entends, je leur parle avec douceur et gentillesse et je vérifie s’ils sont attachés ou non. Souvent, ils sont attachés court, ou portent un collier qui leur envoie une décharge électrique s’ils tentent de franchir une barrière invisible. Quand ils sont libres, je marche lentement sans cesser de leur parler et ils ne font rien de plus qu’aboyer. Ils ont peur de Werner. Je passe donc sans problème leur territoire. J’enquille les kilomètres de chemin en chemin, et quand ils deviennent caillouteux, je vérifie régulièrement les rayons des roues de Werner. Le souvenir de sa panne est trop pénible, je ne veux pas revivre cela. Tout va bien. Nous finissons, après un siècle d’insolation possible, par retomber sur une grosse route qui va nous faire entrer dans la ville où nous allons passer la nuit. Le bourg est comme à l’abandon. Dans la rue principale, pleine de vestiges d’un temps faste, tout est fermé, à vendre, en ruines. Même le cinéma qui pourtant a été rénové est à vendre. Les peintures murales affichent un lieu tourné vers le pétrole. Je croise d’ailleurs plusieurs petits puits encore en activité (vidéo sur le site et Instagram, avec aussi une vidéo de la jolie tortue). Même le lycée est fermé, sa pancarte félicite les diplômés de 2020. Dans chaque jardin des maisons habitées, il y a un abri anti-tornade. Le motel du soir est perdu au milieu de rien, il coûte 3 sous et pourtant est confortable, propre, la chambre est un mix entre vieilleries et design, c’est un vrai labyrinthe, il y a même une chapelle, et laver son linge y est gratuit. La petite cabine de douche ajoutée au coin de la pièce m’offre une délicieuse détente. Fin de la journée. Repos.

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Mercredi 7 Septembre 2022

Vendredi 9 Septembre 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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