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Mercredi 13 Juillet 2022

Hopewell, Ohio, USA
Hebron West, Ohio, USA
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36,2
Kilomètres

Jour 38

Quand le soir tu installes ta tente au bord d’un lac ou d’une rivière c’est le bonheur, mais le matin tu déchantes un peu car tout est humide voire mouillé. La tente, la bâche, tes vêtements, Werner. Alors cela prend du temps de tout remballer. Ron vient me saluer avec Daisy, son Beagle qu’il doit toujours tenir en laisse car autrement elle irait loin Nulle part. On se salue chaleureusement, il me dit qu’il est heureux d’avoir une Amie française. Je lui réponds qu’il est le plus généreux des hommes. Au revoir petit paradis. À mon départ, une biche est là pour me souhaiter bon courage sur ma ligne droite de la journée. Il n’y a rien de plus élégant au monde qu’une biche qui décide de s’en aller et qui bondit.
Me revoici sur la 40 West pour la journée. 7h de marche prévues par mon gps. Alors comme je vais m’ennuyer sévère, je vais en profiter pour vous montrer les quelques petits objets inutiles mais indispensables qui m’accompagnent.
-Le foulard du jour anti-odeurs d’animaux morts.
-Ma cigarette électronique qui ne me quitte jamais et que je fume de temps en temps pendant les pauses, quand je m’ennuie sur la route, ou quand j’ai une grosse émotion.
-La carte bleue de la pauvre Linda Prin, premier élément de ma collecte du matin.
-Ma feuille de route, que j’avais établie pour demander mon visa américain et que j’utilise pour me repérer dans les jours car j’ai perdu toute notion du temps.
-Ivy, c’est mon doudou chauve-souris. Je l’ai achetée dans la boutique des grottes de Réclère qui se trouvent à la fin de mon chemin de randonnée préféré. Le chemin des brigands, à côté de chez mes parents. C’est en faisant cette randonnée, que je connais par cœur, que j’ai eu l’idée d’aller Nulle part.
-Mon petit ours François Pompon. Il m’accompagne depuis le début de mes marches. J’adore ce sculpteur animalier.
Aujourd’hui Werner me fait vraiment ressembler à une vagabonde. Tout ce qui était mouillé ce matin est accroché à l’extérieur. Après tout, c’est ce que nous sommes. Des vagabonds. Heureux. Je me prends quand même de bonnes montées sur cette ligne droite. Et l’ombre a oublié d’exister. Le dernier petit objet qui m’accompagne, c’est le petit papillon monarque fabriqué par Suzanne, qui m’a été offert à mon départ à l’aéroport. Il veille sur mes arrières. La ligne droite et les voitures filent tout droit sur une grande ville que je traverserai dans quelques jours. Rien pour se reposer sur le chemin du jour. Pas d’ombre, pas de station-service, pas de ville ou village à traverser pour se changer les idées. Je réussis à trouver de l’ombre sur le côté d’une église et fais une petite pause mais encore une fois j’ai bien du mal à repartir. Quand j’étais enfant, je passais des heures avant de réussir à m’endormir. J’essayais de me représenter l’infini. Si on m’avait juste dit Tu vois la route 40 West qui traverse les États-Unis et bien c’est ça l’infini. Je crois que j’aurais compris tout de suite et j’aurais mieux dormi.
J’entre enfin dans mon village étape du soir mais mon gps me dit qu’il y a encore plus d’1h30 de marche jusqu’à mon motel. Cela ne finira donc jamais. J’ai l’impression de marcher sur un tapis roulant de salon. Ou que la route s’allonge à chacun de mes pas. Quand je quitte enfin la 40 pour une route plus au sud, cela devient un Brazil de circulation. J’arrive dans un nid de tout pour les camions combiné à un énorme nœud autoroutier. Des centaines de trucks géants, des voitures dans tous les sens, ça pue le gasoil et les gaz d’échappement. Je ne sais pas comment traverser les routes sans me faire éclater comme les centaines d’animaux que j’ai vu pourrir sur le bord des routes. Des fast-foods, des car-wash et des stations-service à la chaîne. Marcher là est totalement absurde. Aucun humain ne se tient sur ses pieds. Tout roule et fait du bruit. Je pense à cette citation de Rebecca Solnit dans « L’art de marcher » qui est en exergue de ce projet depuis le tout début :
« Tout marcheur est un gardien qui veille pour protéger l’ineffable. »
Et bien là, il n’y a plus rien à protéger.
Mon motel est une vieille mite mais je m’y isole comme dans un cocon.

PS : Mes pieds vont beaucoup mieux. Le petit gel de la pharmacie fonctionne pas mal et en fait, avant-hier j’ai marché avec une paire de chaussettes pro technique spéciale marcheur de la mort, achetée une blinde au Vieux campeur. Je ne les avais encore jamais portées. Mes pieds les ont détestées. Ils préfèrent les chaussettes fantaisie rayées de chez Happy Socks. J’en ai 2 paires, j’espère qu’elles tiendront jusqu’au bout. À demain.

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Mardi 12 Juillet 2022

Jeudi 14 Juillet 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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