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Mardi 12 Juillet 2022

Zanesville, Ohio, USA
Hopewell, Ohio, USA
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26,9
Kilomètres

Jour 37

Il y a des journées qui sont tellement difficiles que l’on pense à abandonner, mais qui finissent comme un rêve.
Ma peau est vraiment dans un état pitoyable, ça brûle, ça gratte, ça pelle. Cet après-midi mon petit orteil gauche s’est fendu en deux. J’ai du mal à me mettre en marche ce matin je suis fatiguée et la motivation n’est même pas cachée sous le lit. On annonce de la pluie donc j’emballe Werner. Tant mieux je préfère la cuisson vapeur à la friture. Et je reprends la même route qu’hier. En avant ouest. Ligne droite.
Lorsqu’il se met à tomber une bonne averse je me mets à l’abri d’une station-service. Il ne pleut pas très longtemps. D’habitude j’aime marcher sous la pluie, mais là, il fait tellement chaud que la cape de pluie est un véritable sauna. Et puis les orages sont toujours accompagnés par ces mouches qui piquent très fort, ce n’est pas réjouissant. Je suis la ligne blanche. Je pense à cette émission dont j’ai vu un bout hier soir. La télévision du motel était bloquée sur une chaîne, la télécommande ne marchait pas. Si j’ai bien compris le concept, dans chaque épisode on voit un enfant adulte qui prend soin de l’un de ses parents âgés. Là c’était une dame tellement obèse que cela était monstrueux. Le corps humain avait disparu, une énorme troisième jambe de graisse pendait entre ses jambes difformes. Elle ne pouvait ni se déplacer, ni se nourrir seule tellement ses bras étaient gonflés par le gras. Manifestement son fils, obèse lui aussi, la mettait au régime. Il lui amène donc un plateau repas, lui sert un bon litre de coca, et lui fait manger à la cuillère et à la main un énorme donut, une omelette d’au moins 6 œufs avec du bacon frit plein d’huile. Et la dame disait « C’est tout ? ». J’ai éteint la télé. La ligne traverse enfin une ville. C’est Zanesville. En fait mon motel en était bien loin. Un mec torse nu à vélo dans l’autre sens me parle, je ne comprends pas alors il fait demi-tour et vient à mes côtés. Il me propose de la weed. Tu veux fumer, tu veux fumer ou autre chose ? Bah non, je marche. Ah. Traverser la ville fait du bien. La ligne droite a tendance à rendre fou. Stimulation du regard. Vieilles bâtisses. Un magasin rigolo, j’y entre pour profiter de la clim. Je traverse la rivière Muskingum. J’adore traverser les ponts, ça fait beaucoup de bien de voir passer l’eau. Et puis c’est reparti sur la grande route et cette fois, elle est en quatre voies comme hier et à ma droite l’autoroute. C’est juste complètement absurde de marcher là, ce n’est juste absolument pas fait pour ça c’est un vrai cauchemar. Des véhicules de tous les côtés. Enfin une voie pour les vélos au bord de la route qui me protège mieux de la circulation. Mon petit orteil pète un câble c’est l’enfer. Je m’assoie juste quelques minutes à l’ombre, retire ma chaussure et fais le vide complet dans ma tête. Mais il faut vite remettre ma chaussure ou je ne pourrai plus jamais le faire. Repartir est difficile. J’avale la ligne droite, je déglutis la douleur, je bouffe l’infini. Je frôle l’indigestion quand enfin je quitte la 40 pour une petite route montante qui me mène à mon camping du soir. Pendant ces derniers kilomètres je me fais plein de films sur l’accueil qui va m’être réservé. On va m’offrir l’apéro. On va m’inviter à prendre une douche. On va me faire visiter un immense camping-car. Et c’est encore mieux. J’arrive sur un site magnifique. Un petit lac, une biche, une belle maison sans signe ostentatoire, un kiosque, des balancelles. Et Ron ! Ron est le propriétaire de cet immense lieu. Il m’accueille à bras ouverts et tout sourire. Il commence par me donner de l’eau fraîche. L’espace pour les camping-cars est plus loin sur la propriété, il me propose de m’installer au bord du lac. Il me rejoint en voiture de golf pendant que j’y vais à pied. Il me dit que je peux m’installer où je veux, que c’est gratuit, me montre les toilettes, un frigo que je peux utiliser, me montre une petite maison où il vend des snacks et me dit que je peux prendre ce que je veux, il me l’offre, une glace me fera du bien dit-il. Car on discute longtemps. Plus d’une heure. Il veut tout savoir sur mon projet, on regarde mes cartes. Il me demande si les gens ont été aimables avec moi depuis le début de mon trajet. Je lui dis « Vous voulez que je sois honnête ? ». Et je lui raconte tout. Il est scandalisé. Me dit que l’Amérique a bien changé. Que tout s’effondre. C’est pour cela que je vais Nulle part lui dis-je. Il comprend tout. Approuve. Est heureux et fier de me recevoir. En échange j’apprends en questionnant qu’il a tout bâti lui-même, qu’il a 76 ans, qu’il tond la pelouse chaque semaine. Une journée pour le camping, une journée pour le reste. Il repart puis revient avec une réserve d’eau pour que je puisse me laver. Là on parle tattoo, il n’en a pas mais ses enfants oui. Et là je me berce doucement sur la balancelle en contemplant le lac. Des poissons sautent partout. Je n’entends que les oiseaux et je mange un sorbet. C’est magique. Absolument magique.

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Lundi 11 Juillet 2022

Mercredi 13 Juillet 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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