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Mardi 30 Août 2022

Wayandotte, Oklahoma, USA
Grove, Oklahoma, USA
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28,7
Kilomètres

Jour 86

Hier c’était la journée de la chance et aujourd’hui celle de la méga loose. Le cauchemar est arrivé progressivement. Je suis partie du casino après avoir fait un trafic de glaçons pour essayer de sauver ma nourriture restée sans frigo. Et je n’avais que 3 litres d’eau. J’ai l’habitude d’en acheter au gré de mes besoins sur la route. Je suis sur la 60 et les camions sont en plein « Mad Max 2 », il ne manque que Tina Tuner en cotte de maille debout sur leurs capots. Ou alors ils sont en plein « Duel » de Spielberg. En tout cas ce n’est pas serein, même si je traverse un grand et beau lac au-dessus duquel volent par centaines de gros oiseaux blancs que je ne sais pas identifier. Il y a une espèce d’animal étrange sur la route, un gros insecte qui ressemble plutôt à un mix entre une crevette et un crabe. La chose agite ses pinces pour se défendre. Je n’ose pas la toucher, mais la pousse délicatement du pied hors de la route. Après envoi de photo et discussion science naturelle avec Aurélie, on en déduit que c’est une pauvre écrevisse tombée d’un véhicule de pêcheur. Mon sauvetage n’aura servi à rien avec les 35 degrés qui tapent. Je quitte d’un coup-là 60 pour un chemin caillouteux qui file tout droit vers le sud sur plus de 16 kilomètres. Je ne sais comment qualifier la chaleur sur ce chemin. Je me dis que mourir de chaleur doit être pire que de mourir de froid. Mon stock d’eau diminue dangereusement, et quand le soleil est au zénith il me faut absolument de l’ombre. Un des rares arbres sur le chemin m’en offre un peu, je sors de Werner ma serviette de bain Vieux campeur méga top spéciale qui sèche instantanément et je m’essore littéralement, comme si je sortais d’une douche, sauf que cela n’a rien d’agréable. Je m’emballe la tête dans la serviette et reprend la route ardente. Je me sens faible, c’est la première fois que je marche avec cette chaleur. Le cauchemar ne fait que commencer. Quelques kilomètres plus loin, il me faut absolument une pause si je ne veux pas m’effondrer. Je rentre sur une propriété privée pour trouver de l’ombre sous les arbres. Je m’assieds dans l’herbe pour reprendre mes esprits. Je ne suis pas très loin d’une grosse route qui va je l’espère être bordée par une station-service pour refaire le plein d’eau. Je finis donc ma dernière Thermos et reprends la route. Werner fait un drôle de bruit. Je l’inspecte et me rends compte qu’il perd un rayon de sa roue gauche. Impossible à remettre, je le mets dans une poche. Puis il en perd 2 autres et la roue commence à partir en vrille. Je tente pendant ce qui me semble une éternité de réparer, mais impossible. Je meurs de chaleur et suis complètement déshydratée. Cœur du cauchemar. Aucun véhicule n’est passé sur cette route depuis les 4 heures que j’y marche. Je traîne Werner jusqu’à un semblant d’ombre, le retourne et essaie à nouveau de réparer avec mon amoureux au téléphone. J’échoue. Un camion arrive. Je fais de grands gestes désespérés. Le vieil homme qui conduit se gare et je tente de lui expliquer la chose. Je lui montre surtout. Il est bien embarrassé mais part chercher des outils. On galère comme des malades pour replacer les rayons dans leurs écrous. Frank, c’est son nom, il vit juste à côté, m’offre une heure de son temps, et revisse avec une pince un à un tous les rayons. La roue a l’air moins voilée. Il repart vite car je l’ai mis en retard et je reprends la route. Je meurs de soif et rien pour trouver de l’eau. Arrive un pont de presque 2 kilomètres qui traverse un immense lac. C’est le lieu que je vise depuis ce matin en imaginant un petit paradis et m’y baigner. Et je me réjouissais à l’idée de traverser ce pont. C’est en fait une autoroute. Ma casquette s’envole à cause des camions, je dois enjamber le parapet pour aller la chercher. Le lac n’est fait que pour les hors-bords, mon motel est au bord de l’autoroute. J’y arrive en nage et proche de l’évanouissement. Je demande de l’eau et on m’envoie devant une machine qui ne distribue que des canettes de coca cola chaudes pour 2 dollars. L’homme à l’accueil est des plus désagréable. Il m’apprend que le premier magasin pour de l’eau et de la nourriture est à 4 miles d’ici, soit 6,44 kilomètres. Et on ne peut pas se baigner dans le lac. En face du motel il y a une maison funéraire et autour uniquement des loueurs de hors-bords et de scooter d’eau. Je m’effondre en pleurs dans ma chambre. Cela ne finira donc jamais les galères ? Je me ressaisis. Je vais chercher une tonne de glaçons à la Ice machine pour me fabriquer de l’eau (celle du robinet est chaude et sent la piscine) et je vais faire une lessive. Je prends un bain et m’endors sans m’en rendre compte, dépitée et éreintée. J’en ai oublié mon linge. Et il faut que je mange, je n’ai rien dans le ventre depuis les frites du casino. Je vais chercher mes vêtements. Me fais une tartine de guacamole qui a bien pris la chaleur et me colle à ce texte. Je préfère les jours de chance.

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Lundi 29 Août 2022

Mercredi 31 Août 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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