Lundi 11 Juillet 2022
Cambridge, Ohio, USA
Zanesville, Ohio, USA
>>>>>
31,8
Kilomètres
Jour 36
Ma matinée commence avec les News de 6h dans la salle du petit dej. Un incendie immense au Yosemite qui menace les séquoias géants. Terrifiant. Réchauffement climatique nous voilà. Je n’ai pas hâte de traverser la vague de chaleur. Pour l’instant j’ai des journées à 30 degrés, c’est déjà difficile.
La journée est simple, elle se passe entièrement sur la route 22, une 4 voies quasi toute droite. Il faut que je trouve comment occuper mon cerveau. Je commence par réfléchir à la forme que prendra ma collecte, j’ai plusieurs idées. On verra in situ lors de ma première expo retour. On a dit que l’on ne parlait pas des animaux morts. Juste vous dire que je marche toujours avec un foulard à la main pour boucher mon nez et ma bouche lorsque je les croise. Bien que je mijote au soleil, je suis plutôt sereine. Une solitude heureuse. Je me projette virtuellement sur la ligne de ma carte et je marche dessus. Nulle part est devant moi et j’y vais. Les montagnes je ne les avais pas anticipées, mais les lignes droites je m’y étais vraiment mentalement préparée. Je savais que cela allait être ça la plupart du temps, alors je marche. Mon cerveau n’a encore pas intégré et accepté la douleur que procure mon petit orteil gauche, d’autant plus qu’il semblerait que le droit fasse son malin lui aussi. La route traverse un petit bourg, dans une pharmacie, je demande un remède pour soigner les ampoules, c’était drôle à expliquer sans connaître les mots en anglais. Ils m’ont donné une espèce de pansement liquide. On verra demain si c’est efficace. Plus loin je trouve un supermarché génial, enfin des produits frais et même un petit rayon végane. Ils mangent quand même des trucs bizarres. C’est très cher, je n’achète pas grand chose mais me fait plaisir avec de la pastèque fraîche. Un délice total qui donne de la force pour reprendre la ligne droite. Il y a un couloir réservé pour les vélos alors c’est parfait. Infini mais parfait. Il faut juste avancer. Je me mets en mode performance. Je ne sais pas vraiment expliquer comment le cerveau switch à ce moment-là, mais c’est très particulier. Une action doit être accomplie. Elle a été réfléchie. Elle a du sens. Cela va être éprouvant physiquement mais la douleur s’oublie car il faut mener cette action jusqu’au bout. C’est une pièce. Elle laissera une trace. C’est un micro-geste politique. Cet état performatif, je l’ai connu lorsque je faisais des bras de fer dans les rues au Mexique ou quand je faisais du massage cardiaque sur des torses en plastique pendant des heures. Ou quand je fais des lectures en me faisant tatouer. Ou quand j’ai marché en cercle dans le jardin de la maison des arts de Malakoff plus de 400 kilomètres sur une boucle de 140 mètres. Je fais un arrêt pour me changer les idées dans un Antiques Mall. Quand on entre, on fait waw, mais en fait en détail il n’y avait rien qui me fasse regretter de ne pouvoir rien transporter de plus. La ligne reprend. Chez KFC ils ont carrément dû m’oublier dans la friteuse. Après encore quelques kilomètres, un autre magasin d’antiquités. Il est gigantesque. Je ne fais que y errer en profitant de la clim, je ne regarde pas vraiment, je suis trop épuisée. Je ne pense plus qu’à une douche glacée. Et puis enfin le même profil à l’horizon, le nid de panneaux géants, grappe de motels et fast-food au milieu de rien. Mon motel est le plus miteux, il tombe carrément en ruine. Mais la douche, la douche.
PS : pour vous amener au plus près de la réalité, je vous fais une photo de mes pieds juste après la douche dans la lumière blafarde du motel pourri. On dirait bien qu’ils n’ont pas aimé aujourd’hui. Âmes sensibles s’abstenir de la dernière photographie.