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Lundi 25 Juillet 2022

Quarry Lake Campground (Fillmore, Indiana, USA)
Cloverdale, Indiana, USA
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25,1
Kilomètres

Jour 50

J’ai très peu dormi cette nuit. C’était le noir total en dehors de la tente et il y avait beaucoup de sons d’animaux. Et puis il y avait encore les résidus du stress de la tornade. Ce matin Werner est dans un état pitoyable. Sa couverture de pluie n’a pas résisté à la tempête, tout ce qui était resté à l’intérieur est trempé. Je mets un temps fou pour tout ranger, il faut tout éponger. Je ne prends la route qu’à 8h sous un ciel encore chargé. J’emprunte de petites routes sans circulation au milieu des champs. Y être solitaire et pouvoir marcher sans crainte m’apaise. Si toutes les routes pouvaient être ainsi je pourrais faire comme Forest Gump traverser plusieurs fois le pays. D’ailleurs dans ce film il y a tellement d’incohérences. On le voit toujours courir sur des routes vides, traversant des paysages de carte postale. Comment a-t-il fait pour franchir cette partie que je traverse depuis 50 jours ? Hollywood nous cache des choses. Hollywood nous ment, je vous le dis. Et lui aussi court comme un foufou dans les maïs avec sa copine Jenny. Moi je ne peux même pas m’y cacher pour pisser. J’entends arriver la 40. On ne peut pas échapper à cette route. Et aujourd’hui elle est particulièrement en forme. Des camions et des convois over-size à n’en plus finir. C’est du stress permanent. Je fouille mon plan et décide de faire un gros détour par des petites routes. Il n’y a rien à voir à part des champs, mais le calme me permet de m’apaiser, et d’évacuer complètement le stress géant d’hier qui a du mal à retomber. Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie (à part il y a longtemps dans une titanesque tempête sur un tout petit bateau surpeuplé entre 2 îles de Malaisie). Me sentir autant désemparée. Ne pas savoir quoi faire. Avoir peur à en trembler. Se voir mourir connement. Je me détends pas à pas, mais quand même, je me retourne souvent pour regarder le ciel et veiller à ce que la soucoupe volante de « Rencontre du troisième type » n’arrive pas pour faire sa maligne. Je me dis que tant que François Truffaut et Richard Dreyfuss ne se pointent pas, tout va bien. « Monsieur Neary, je vous envie. » J’ai toujours adoré cette phrase de Truffaut/Lacombe à Dreyfuss/Neary à la fin du film. Je bifurque de petites routes en petites routes, je me prends parfois de sévères montées, mais c’est le prix à payer pour la tranquillité. Je parle aux animaux que je croise, des chèvres qui semblent avoir gardé des gènes d’Alpines. Un chien tout gentil qui a l’air doux. Un cheval dans un tout petit enclos. Je lui demande s’il est de la famille de ceux qui ont joué dans Les Misfists. Mes pensées vagabondes s’arrêtent nettes lorsque je traverse l’autoroute. Le son de la circulation anéantit complètement mes petites circonvolutions mentales. J’étais perdue dans ma tête aux côtés de tous les animaux avec lesquels j’ai partagé un bout de ma vie. Je me lovais avec mes deux derniers amours, Ziggy, une chienne croisée pitbull-boxer que j’ai trouvée abandonnée et apeurée. Le chien le plus tendre du monde. Et puis ma Cruella, un chat quasi sauvage quand je l’ai eu chez moi, une écaille de tortue avec les vertèbres de la queue cassées, lui faisant comme une antenne télé à l’arrière-train. Elle me manque encore après plus de 10 ans. Ma petite douceur. Après des montées sans fin, je surplombe la traditionnelle grappe motels/fast-foods/stations-services et arrive tôt dans l’après-midi à mon étape du soir. Avec la dame de l’accueil on parle bien sûr de la tornade d’hier. Elle l’a vue se former, elle conduisait et a vite fait demi-tour pour se mettre à l’abris chez elle. Même elle, qui vit ici, a manifestement été impressionnée. Lorsqu’elle apprend que moi j’étais seule sous une petite tente, elle redouble d’attention pour moi. Lorsque l’on sort de l’office du motel pour qu’elle me montre ma chambre, 2 imposants flics sont devant la porte. Pour plaisanter, je lève les mains et je dis « Ce n’est pas moi, je n’ai rien fait ». Il faut que je fasse attention avec l’humour car en fait, ils étaient là pour moi en vrai. Il y a un avis de recherche sur une femme aux cheveux rouges qui pousse un caddie (non mais comparer Werner à un caddie) et qui a volé je n’ai pas compris quoi. Ils me font un contrôle d’identité. La dame du motel leur dit que je suis en règle et leur raconte que j’étais sous une tente pendant la tempête. L’atmosphère se détend et Steve, le Marshal veut tout savoir de mon voyage. Tout le fascine. On parle longtemps. Il a travaillé en Allemagne et en Croatie. Il adore mes tattoos de noms de ville et veut savoir par où je vais passer ensuite. Très protecteur, il me dit de faire attention à moi et me souhaite un bon voyage Nulle part. On se fait un check du poing. Bon, la photo faite par la dame du motel est ratée, j’ai l’air conne et moche et je ferme les yeux, mais je l’ai gardée car je ne pensais pas me faire un pote de la police fédérale ! Et la situation était trop cocasse. Une fois dans ma chambre je m’occupe de Werner. Je dois tout faire sécher. Et je fais une machine de l’intégralité de mes vêtements dans le laundry du motel. Pour 2 dollars, quel travail en moins ! Je discute un moment avec un Monsieur rigolo qui lave aussi son linge. Il vit dans le motel. Il a une couette faite avec sa barbe longue et blanche. Il est allé en France dans les années 80, à Paris et à Marseille. Parler de la France lui fait des paillettes dans les yeux. Lui aussi me dit de bien faire attention à moi. C’est réconfortant des gens gentils. Je suis en étoile sur le lit. Werner est tout bien rangé. Tout sent bon, tout est propre, et moi aussi. C’est le luxe.

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Dimanche 24 Juillet 2022

Mardi 26 Juillet 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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