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Jeudi 18 Août 2022

Doolittle, Missouri, USA
Saint Robert, Missouri, USA
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38,2
Kilomètres

Jour 74

La sonnerie du réveil à 5h30 m’a sortie d’un sommeil lourd. Tout était humide de rosée. J’ai tout empaqueté dans Werner en me réveillant difficilement. Mon chemin du jour me fait faire un long détour en U au sud de l’autoroute 44. Pas d’autre possibilité à pied. Alors c’est parti. Dans ma station-service du matin, je rencontre Marylina qui en voyant Werner m’attendre, me questionne sur ma marche. Elle regarde méticuleusement mon chariot et comprend que je suis très organisée et que tout a été réfléchi. Elle est épatée de cela alors que Werner ce matin ressemble à un vieux hippie avec toutes mes affaires qui sèchent à l’extérieur. Et elle se met à me bénir. Elle bénit mes pieds, mes chaussures, mes jambes, mon courage, Werner, mon repos chaque soir, I bless, I bless, I bless… Elle n’arrête pas. J’ai été bénie une bonne vingtaine de fois. Si avec ça je ne passe pas une bonne journée. Quelle folie ce pays. La route est d’une tranquillité sans nom. Je n’entends que les oiseaux du matin. Cela fait longtemps que ce n’est pas arrivé. C’est extrêmement reposant. C’est même un vrai bonheur matinal. Je traverse le village de Newburg, encore tout endormi et silencieux. Personne en vue. « The Walking Dead » saison 2. Un vieux village qui devait vivre parce que la ligne de chemin de fer passait là. Maintenant la plupart des bâtiments sont à l’abandon. Je pense à la série « Hell on Wheels » que j’avais adorée. En traversant la rivière dans un silence absolu, je me sens tellement bien que j’ai une forte émotion qui fait monter des larmes. Je n’entends que les insectes et les oiseaux, il n’y a pas de ligne électrique ce qui veut dire que je suis vraiment seule. Et pour de longues heures, je vais traverser une magnifique forêt. Je me sens à ma place. Je suis chez moi avec les arbres. Mon seul regret est de ne pas sentir les grands pins. Je cherche avec mon nez comme un chien, mais toujours rien. Pourtant cela doit sentir magnifiquement bon. Je savoure juste par les yeux et la peau. Il y a un tout petit vent. J’ai une grosse pensée pour Nicolas, qui gère le site dédié au projet et mon Instagram. Il a participé à tous mes workshops « A Forest », même lorsqu’il n’était plus étudiant. On serait bien ici, Nico, pour inventer des choses belles et folles avec des caméras. C’est physique, je me prends parfois de bonnes montées. Mais c’est tellement beau. Nick, le tatoueur d’Indianapolis me l’avait dit. Dans le Missouri il y a comme un petit résidu des Appalaches. Au moment où il me l’a dit, je n’avais pas compris. Car ici, lorsque l’on prononce Missouri, cela s’entend comme Misery. Je vois de gros oiseaux très bizarres, très lourdauds, ils ont du mal à voler et ressemblent à de gros dindons. En cherchant, je me rends compte que j’ai traversé un habitat protégé de Wild Turkey. Les dindes sauvages, cela ferait un bon nom de groupe de rock. Après 5 heures de marche et de plénitude, je retrouve la 66 qui se transforme en 4 voies avec un revêtement tout pourri et cabossé, et surtout une forte circulation de camions. Et là je passe de l’insouciance au cauchemar total. Je dois sauter dans le fossé à plusieurs reprises, les gens roulent comme des dingues et je n’ai aucun espace pour marcher. J’ai l’impression de faire du surplace. Je sue, je peine, je peste, j’insulte. J’ai envie d’être chez moi dans mon lit à lire le nouveau Despentes. Qu’est-ce que je fous là. Alors que je traîne Werner dans le gravier qui longe la route redevenue en 2 voies pleines de voitures, apparaît un parc d’attraction ultra ostentatoire. Uranus. Couleurs criardes, néons, dinosaures, faux décors, attractions en tout genre. Je marche depuis plus de 8h sans pause. Je vais voir. Surtout qu’il y a quelque chose que tout le monde rêve de voir : la boucle de ceinture la plus grosse du monde. Les bras m’en tombent. Le moral aussi. Je rentre dans le « Strange Museum » qui joue sur les codes des anciens Freaks Show avec de mauvaises reproductions des affiches d’origine. C’est pitoyable. L’attraction principale est une pauvre tortue siamoise. Le reste n’est que carton-pâte. Cela aurait pu me faire rire, mais avec la fatigue et le stress de la route, je suis dépitée. Un bon épisode de « American Horror Story : Freak Show » avec la sublime Jessica Lange en Elsa Mars m’aurait fait plus de bien. Et il me reste 1 heure de marche avant mon motel pourri. C’est peut-être la pire heure depuis les Appalaches. Merci de ne plus jamais me bénir.

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Mercredi 17 Août 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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