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Jeudi 1 Septembre 2022

Grove, Oklahoma, USA
Vinita, Oklahoma, USA
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(38) + 13,2
Kilomètres

Jour 88


Bon, Monica n’est jamais venue. Elle m’a posé un bon gros lapin. À 8h j’étais devant le motel, à 8h30, je lui ai téléphoné, personne n’a répondu, je me suis dit, elle doit être en route, et à 9h, en commençant à rissoler au soleil, je me suis dit que c’était mort. Le type du motel ne pouvait rien pour moi à part être désolé, trop tard pour envisager d’atteindre mon étape à pied sans mourir au soleil, seule solution, le stop. Des centaines de voitures passent, j’essaie d’avoir l’air aimable mais en vrai je suis désespérée. J’attends plus d’une heure avec mon pouce en l’air. Et enfin un pickup ralentit et se gare. C’est David. Il est à la retraite, mais comme la plupart des gens ici, il doit encore travailler. Il est portier dans un casino. Il propose de m’emmener jusqu’à mon étape du soir directement, il a le temps, c’est son Day off. Mais quelle bonne idée. Il m’arrête même pour que je puisse prendre une photo d’un resto nommé Nowhere. Il adore mon histoire. On parle de 1000 choses. Du fait que rarement les gens gagnent beaucoup d’argent au casino car ils sont toujours tentés de jouer encore et ils perdent tout. De nos enfants. Il en a 3. Sa femme est morte il y a quelques années. Je sens que c’est douloureux encore pour lui d’en parler. Je quitte vite le sujet de la famille pour celui de la solitude sur la route, puis des tornades. Il m’explique lui aussi comment faire si cela m’arrive (se planquer au coin d’un pont ou dans un tuyau qui passe sous la route). On aborde la politique. Trump. Il est persuadé qu’il n’aura jamais de problème avec la justice car il a tout blindé pendant son mandat. Il a placé toutes ses connaissances là où il faut pour ne jamais être inquiété. David me demande ce que je veux écouter comme musique. Je lui réponds « quelque chose que vous aimez ». Il branche de grosses enceintes posées sur le siège arrière et nous voici à fond sur la route 66 avec du son typiquement américain. Il a la carte de son médecin pour de la weed. C’est un des meilleurs moments de mon périple. Stoned on the 66 avec le paysage qui défile à fond et gomme tout ce que j’aurais dû marcher en mode barbecue. Je savoure ce moment comme une récompense face à toutes mes galères accumulées. Je n’ai aucun scrupule à faire cette étape en voiture. Je suis le capitaine de mon propre navire et l’équipage tout entier. Et l’ambiance à bord était plutôt sous la moyenne tolérable. Merci David. Il me dépose un peu avant la ville, sur le parking d’un supermarché. Me souhaite sincèrement le meilleur. Et me quitte avec un hug. Je fais des courses et achète ce qu’il faut pour nous réparer physiquement Werner et moi. Des vitamines. De la crème ultra hydratante qui soigne aussi les tattoos frais. Du pansement liquide pour mes pieds. Une pince pour les rayons des roues de Werner. Et des choses mangeables. En cherchant la pince, je discute avec Jason qui travaille là. Il est irlandais. Je lui demande ce qu’il fait là en plein Oklahoma. Le mariage me dit-il. Mais maintenant il est divorcé et il n’a qu’un souhait : retourner en Europe. À cause de la nourriture m’explique-t-il. Tu m’étonnes que je le comprenne. On se met à rire des horreurs culinaires d’ici. Je vais déposer Werner à mon motel du soir, il est trop tôt pour prendre ma chambre. Tant mieux, je vais visiter la ville. Comme elle est traversée par la route 66, elle cultive ses bâtiments anciens. Il y a même un cinéma des années 30 qui diffuse encore des films. Je rentre dans un magasin que je crois être une boutique de fringues, mais c’est un endroit où l’on brode et imprime à la demande sur des vêtements. Les filles qui tiennent le lieu sont adorables. Mon accent grotesque me trahit. Mais d’où es-tu ? De Paris. Et c’est parti pour le récit de l’aventure et des tonnes de questions. En voyant leur travail (et les tous petits prix), je fais broder ROAD TO NOWHERE sur ma vieille casquette qui a perdu son noir à cause du soleil et que je porte depuis presque tout le périple. Et je me fais faire un t-shirt. Quand il est prêt et que les filles me le montrent, elles me disent Tu le porteras à ton retour en France et tu pourras dire I DID IT ! Elles m’indiquent un Antiques Mall un peu plus loin. Je m’y offre quelques broches et pinces à cravate vintage que j’adore porter sur mes vestes. Gene, le vieil homme qui tient le lieu veut tout savoir. Je passe une bonne heure avec lui. Il veut voir ma carte, des photos de Werner. Je le fais beaucoup rire. Je me souviens, au tout début du trip, Barnaby, un monsieur anglais, m’avait dit qu’en Oklahoma, les gens étaient accueillants. On dirait bien. De retour au motel, je prends ma chambre. En plus des gestes routiniers, je revisse tous les rayons de Werner à fond. Le monde part en vrille, mais plus jamais les roues de mon compagnon de route. Excepté l’angoisse du matin à cause du sale plan de la taulière du rad, cette journée m’a fait du bien. Je prends mon temps ce soir. Avant d’écrire ce texte, je regarde « Sur la route de Madison » qui vient d’apparaître dans les nouveautés sur le Netflix US. Je voulais le revoir depuis des semaines. Qu’ils sont beaux Meryl et Clint.

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Mercredi 31 Août 2022

Vendredi 2 Septembre 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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