Dimanche 18 Septembre 2022
Anadarko, Oklahoma, USA
Nowhere, Oklahoma, USA
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32,8
Kilomètres
Jour 105
En programmant NOWHERE sur mon gps dans la chambre pleine de cafards ce matin, cela m’a serré le cœur. Werner, Indie, c’est notre dernier jour de marche. J’accomplis pour la dernière fois mon rituel du matin, celui que j’effectue depuis 3 mois et demi, et je me sangle à Werner une ultime fois. Je réprime un sanglot dès les premiers pas, avec à ma droite l’horizon qui rosit. C’est tellement bon de marcher alors que le soleil se lève. Mais pas de place pour les émotions, la route est rude. Vous connaissez le topo, lignes droites à l’infini, pas d’ombre (juste un endroit dans la journée où je me réfugie quelques instants) et 38 degrés ressentis. Quand la route devient caillouteuse, je suis comme dans un grille-pain avec en plus des moustiques affamés et de la poussière qui colle à ma sueur. Nulle part ne semble jamais arriver. Cette journée est une éternité. Je n’ai jamais autant regardé mon gps qui semble étirer le temps. Mon stock d’eau est épuisé alors que je suis à 2 miles de mon but, dans une montée indécente par cette chaleur. Je pense ne jamais y arriver. Mon corps va me lâcher avant. Je force. Je suis à bout. Je sens le malaise arriver. Pourtant je ne suis qu’à 500 mètres. Et là, comme pour m’encourager, traversent la route, à 2 mètres à peine devant moi, une biche et son faon. Et cela me fait fondre en larmes. J’explose en sanglots. Tout se lâche. Je pleure sans discontinuer, sans contrôle, sans le vouloir. J’arrive Nulle part. Je suis Nulle part. Je vais me cacher derrière la petite supérette pour tenter de calmer mes spasmes. Je fais un live avec Aurélie. Je pleure et ris en même temps avec elle. Je suis arrivée. Après 2602,2 kilomètres de marche. Je ne réalise pas vraiment ce qui arrive. Je sèche mes larmes du mieux que je peux. Il faut que je boive. J’entre dans le petit magasin, achète de l’eau et me pause à l’ombre sur un banc. Je respire. Werner intrigue. Je rencontre Randal, mon premier habitant de Nowhere. Il est assis là sous le porche depuis mon arrivée. Je le check du poing et lui dis d’où je viens. Sabrina, qui gère le magasin entend la conversation et se joint à nous. Elle appelle Tanner, son mari, puis arrive Robbie. Et nous voici partis dans une conversation de plus de 2 heures. Les questions fusent, de ma part, de la leur. On rit autant que l’on parle de sujets sérieux. Politique, déclin du pays, guerre en Ukraine, pouvoir d’achat, fins de mois, monde en vrille. Robbie est un marrant, il fait plein de blagues que je ne comprends pas. Je lui réponds en français. On rit. Ils veulent savoir plein de choses sur la France. Ce qui les épate le plus, c’est que l’on n’achète pas l’eau, que l’on peut la boire directement du robinet. On fait des photos. Ils me disent de venir vivre ici avec ma famille. On rit encore. Je dois être entre 16h et 17h à 1h30 de marche pour les clefs du Airbnb que j’ai réservé afin de pouvoir me tatouer sainement. Tanner propose de m’emmener en voiture. Merveille. Il est menuisier. Il a été à l’université, possède une tonne de diplômes en business, mais a tout plaqué pour faire quelque chose avec ses mains. Robbie le blagueur est son patron. Tout le monde semble joyeux Nulle part. 200 personnes y vivent. Plutôt dans des mobile-homes. Tanner me dépose en me disant que mon histoire est la plus belle qu’il ait entendue. Je lui réponds qu’elle ne pouvait pas mieux finir qu’avec eux. Mon Airbnb est en fait une maison complète. J’ai une maison Nulle part en Amérique. La cuisine est tellement grande qu’il ne manque que Tom Cruise qui fait des tartines de beurre de cacahuètes à ses enfants. Il y a 3 chambres, je ne sais laquelle choisir tant elles sont laides. On se croirait dans « Misery », sauf qu’ici, on collectionne les poules sous toutes leurs formes. C’est d’un goût innommable. Je me pose dans le canapé qui pourrait accueillir 10 personnes. Et je ne bouge plus. Des vagues de larmes montent régulièrement sans prévenir. Je téléphone à mes proches, ils m’ont fait tenir dans mes galères, mes paniques, mes doutes, et ont partagés mes joies. Je les remercie et pleure encore. Je finis par me mettre dans un bain, j’ai l’impression de sortir du tournage de « Dune ». Je crois que je me suis endormie dans la baignoire. En me réveillant je pleure encore. Je l’ai fait. Je n’ai pas le courage de me tatouer ce soir, je me réserve cela pour demain. Je vais passer ma nuit Nulle part. C’est complètement dingue.