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Samedi 24 Septembre 2022

Les jours d’après Nulle part

 

Des centaines de kilomètres en voiture, assise, pour une nouvelle série photographique.

 

Retrouver mon Amour était fort et beau, cela m’appartient, je ne développerai pas. Le plus difficile a été de quitter mes habitudes de solitaire. Attendre. Que l’autre prenne sa douche pour quitter un motel, qu’il cherche des choses à manger dans un supermarché alors que je connais quasi par cœur les seuls trucs mangeables pour moi et sais les trouver en quelques minutes. Dans ma solitude de marcheuse, je n’ai jamais attendu. À l’arrêt j’ai contemplé, réfléchi, me suis reposée. Les jours d’après, j’ai découvert une impatience que je ne connaissais pas et qui était insupportable. Elle s’est tarie petit à petit. J’ai beaucoup cherché Werner. Dans les chambres, à la sortie des magasins, autour de ma taille. Avaler les kilomètres en voiture est à la fois fascinant et frustrant. Je ne cesse jamais de regarder si le bord des routes est marchable. C’est comme une obsession. Je m’y imagine. Mes jambes n’ont pas compris l’arrêt brutal de la marche. Souvent je marche pour rien, autour de la voiture, ou fais les 100 pas dans les stations-services lors des arrêts essence et pipi. Je ne me suis pas reconnue dans les miroirs avec une robe, mes Docs, du rouge à lèvres et mes couettes. La perte de poids et le bronzage m’ont sauté aux yeux. J’ai retrouvé les insomnies. Et la sensation de faim alors que je ne fais rien de mon corps. Quitter l’Oklahoma pour aller du Nouveau Mexique au Nevada est un pur bonheur visuel. Enfin des paysages à couper le souffle. Les cartes postales de nos rêves américains. C’est magistral de beauté. J’ai gardé le trauma des orages. Alors qu’en voiture une grosse averse ou un ciel zébré d’éclairs se traversent en quelques minutes seulement, et ne présentent aucun danger, une peur viscérale me remplit dès que le tonnerre gronde. Un unique cocktail a suffi à me rendre ivre et presque malade. La musique et le son très fort d’un bar ont été intenables au début. Alors que j’adore cela en temps normal. Mais plus rien n’est normal. Dans les cartes postales, je vois la crise, le déclin. Les maisons et commerces abandonnés. L’ostentatoire des winners. Psyché me manque. Il faut tout réinventer. Me reconnecter aux bruits et horreurs du reste du monde est violent. Les violences s’additionnent. Profiter des petits bonheurs un maximum. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que chacun d’entre eux est peut-être le dernier. Écrire me manque aussi, alors voilà.

La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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