Vendredi 24 Juin 2022
Burnt Cabins, Pennsylvanie, USA
Breezewood, Pennsylvanie, USA
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32,7 + (10)
Kilomètres
Jour 19
Oooohh cette nuit il y avait encore plein de lucioles autour de ma tente. C’est tellement beau. Je n’en avais jamais vu autant.
Après une nuit plutôt bonne, juste après l’aube j’ai fini de ranger Werner. C’est un travail de précision, chaque chose a sa place et il ne reste plus 1 cm2 disponible.
Vers 7 heures sur la route, j’ai croisé un voyageur à vélo avec tous ses paquetages. Il était dans une descente à fond donc moi dans une montée pénible. On était séparés par plein de camions qui roulaient à grande allure. On s’est fait de grands signes et de grands sourires. Quelques kilomètres plus tard je quitte enfin la 522 South pour une route spéciale vélo (enfin !!) sur laquelle ne peuvent circuler que les habitants du long de la route. Et ça c’est bon. Le paysage est vert, beau, calme avec beaucoup de dénivelés. Je fais un arrêt dans une espèce de petite épicerie pour acheter de l’eau fraîche et quelques victuailles. On ne m’autorise pas à laisser Werner à l’entrée alors je le balade entre les petits rayons. La tenancière du lieu ne fait que me suivre suspicieuse. Mon jus d’ananas préféré ne se vend que dans un contenant énorme. À la caisse, visiblement soulagée que je n’ai rien volé, la dame me demande ce que je fais avec « ça », en montrant Werner. J’explique mon histoire. Mais pourquoi vous marchez ? Pour voir le monde plus lentement. Dans ses yeux je vois qu’elle me prend pour une dingue totale. Plus loin, je fais un arrêt dans un Dollar General (un bazar qui vend tout et n’importe quoi pas cher). Il me faut vraiment un chapeau, le soleil cogne fort. Et je trouve, tenez-vous bien, une casquette de baseball. Si on m’avait dit qu’un jour je porterais cela ! Ensuite commence une grande montée. On la voyait arriver cette montagne. Mais avec Werner, nous sommes des Fitzcarraldistes. Alors on en bave mais on la passe cette montagne. Et puis là, devinez quoi, en voici une autre. C’est comme si la croûte terrestre, il y a fort longtemps avait fait des vagues pour un surfeur géant. Et là, c’est la bonne vague. Immense. Penser à Herzog m’aide beaucoup aujourd’hui, sa Conquête de l’inutile me permet de tenir. La montée est atroce et sans fin. Le soleil me grille. J’ajoute un mouchoir sous la casquette pour me protéger mieux. À chaque pas je vois les cordages et les poulies qui tirent le bateau sur la montagne (pour les non-initiés à Werner Herzog, je parle du film Fitzcarraldo). C’est la vraie montée de la mort. À chaque virage j’espère enfin la descente mais c’est pire encore. Je pense que c’est la plus longue montée jamais empruntée dans ma vie. À chaque pas, je pousse un râle d’effort. Et mon GPS me dit que je suis encore à 3h30 de ma destination du soir. Je n’y arriverai jamais. Je serai retrouvée séchée au bord de cette route que personne n’emprunte car une autoroute passe juste à côté, dans 10 ans peut-être.
À un moment part sur la droite une route qui s’appelle la route du sommet, alors je me dis que ça y est j’y suis, au prochain virage ça va se mettre à descendre. Et bien non c’est encore pire. Et ça monte encore très longtemps très longtemps très longtemps, jusqu’à avoir envie de mourir. Mon eau fraîche dans ma thermos est finie, je n’ai plus que de l’eau chaude. Et puis d’un coup, c’est plat puis ça se met à descendre tout doucement tout doucement tout doucement. Et re-montée colossale. Vieille zombie cramée. Cette pente me fait arriver sur une grosse route, la 30, avec beaucoup de circulation. Je me dis qu’il vaut mieux faire du stop que mourir. Je tends le pouce sur 1 bon kilomètre. Des centaines de voitures m’ignorent. En même temps je prie tous les seigneurs lords jésus et qui vous voulez pour que si quelqu’un s’arrête, ce soit une femme. Et Terrie arrive dans son pick-up. Je lui dis qu’elle me sauve la vie. Elle est heureuse de m’aider. Elle aimerait aussi voyager. Elle n’a jamais quitté son état. Elle est la gentillesse incarnée dans son véhicule plein de bronx. Elle me conduit jusque devant mon motel réservé. La route était encore gigantesque avec un trafic monstrueux. Merci à l’infini Terrie. Le motel est ultra cheap avec la plus adorable des gérantes. Elle adore mon projet et est aux petits soins. Elle m’accompagne jusqu’à ma chambre et me met tout en route. Clim télé frigo micro-onde. Je prends le bain le plus réparateur de ma vie. Je suis ratatinée par le soleil. Tout mon corps est en ruines. Mais là je suis bien dans cette vieille piaule. Je ne bouge plus.