top of page

Mercredi 6 Juillet 2022

Washington, Pennsylvanie, USA
Triadelphia, Virginie Occidentale, USA
>>>>>
37,4
Kilomètres

Jour 31

J’ai enfin quitté la Pennsylvanie, je suis en Virginie Occidentale.
Je me réveille avec un très beau lever de soleil mais il pleut. Je quitte la ville par la 40 West, route historique, en 1926, elle traversait tous les Etats-Unis. Il est sensé pleuvoir toute la journée, mais il pleura juste la première heure, puis il a fait moite lourd fiévreux horrible. Une étuve.
La 40 est pénible et jonchée d’ordures avec des montées qui tuent. Avant tout autre chose, je tiens encore à rectifier quelque chose : en fait, on tond la pelouse tous les jours de la semaine. Ceci étant dit, j’ai l’impression chaque jour de vous raconter la même histoire. Synopsis : C’est une femme qui marche, et ça monte, et elle en chie.
Très tôt dans la matinée, dans une montée donc, une dame en voiture me demande si j’ai besoin que l’on me conduise quelque part. Déjà le quelque part me fait sourire puisque je vais Nulle part. Lorsque je refuse, elle me dit « Vous êtes sûre ? » (elle savait, elle, toutes les montées de la mort qui ne faisaient que m’attendre), j’ai répondu « Oui je suis sûre, je marche ». « Vous marchez » répète-elle perplexe. Et elle repart me prenant certainement pour une dingue.
Il y a donc des gens gentils évidemment. Il faudrait juste que je les rencontre au bon moment. Je regarde longuement un aigle qui plane en cercle au-dessus de moi. C’est beau. Et ça monte. Je suis très touchée par les mots que je reçois de mes amis chers, et de personnes que je n’ai pas vues depuis très longtemps. J’y pense en marchant, je me sens accompagnée. D’ailleurs depuis 1 mois, je ne souffre aucunement de la solitude (du manque d’interaction avec les états-uniens seulement). Et puis Psyché est encore avec moi, elle va me coller à la peau jusqu’à Nulle part. On discute pas mal surtout dans les montées. On se dit mais quel projet à la con, on pourrait être peinardes au bord d’une piscine chez des potes ou en train de boire l’apéro dans un super jardin. Parce que pendant que vous, vous prenez l’apéro, pour moi, c’est l’heure où il fait le plus chaud, j’ai déjà marché 5 à 6 heures, le mode zombie n’est pas loin. Alors trinquez pour moi ! Je traverse Claysville, très jolie toute petite ville. Dans une pharmacie, j’achète du dentifrice et de la crème pour le visage. Il y a aussi de très jolies choses pour décorer sa maison pour rappeler que l’on est en Amérique. Les dames sont très gentilles, elles m’appellent Honey et me souhaitent un bon voyage et que Dieu me protège. Le ciel se charge à nouveau très très fort, je suinte de partout. Mais là, arrive le plus délicat et beau mini événement de la journée. Alors que la 40 est en travaux avec circulation dense alternée, une tortue s’apprête à traverser la route. J’en ai vu tellement depuis le début de mon chemin, éclatées sur le bitume. Alors je l’ai prise et emmenée avec moi pendant un petit moment jusqu’à trouver un bosquet traversé par un ruisseau où je l’ai déposée. J’ai beaucoup discuté avec elle, elle sortait de temps en temps sa petite tête de sa carapace pour guetter ce qui lui arrivait. Cela a dû lui faire bizarre de voler. Et de voir ma grosse tête. J’espère qu’elle sera bien là où elle est. Elle est un peu loin de son territoire mais c’est mieux que de se faire écraser je crois. Je suis très très heureuse d’avoir sauvé une vie. Là oui, les gens dans les voitures qui roulaient lentement à cause des travaux avaient vraiment des raisons de me prendre pour une cinglée. Dis maman t’as vu y’a une fille qui marche avec un truc bizarre derrière elle, et elle parle à une tortue. Non mais si, je t’assure. Brandon, arrête la fumette.
Je quitte enfin la 40 pour un petit chemin forestier. Cela fait du bien mais ça monte de façon inimaginable. Cette fameuse descente que tu crois voir arriver mais qui est en fait une montée pire. C’est « Un jour sans fin », en plus, des marmottes j’en vois plein. Cela me fait arriver dans un petit village avec beaucoup de maisons vides. Je fais une pause sur les marches de l’église et mange un reste volé d’un buffet de petit déjeuner. Juste à la sortie du village, je quitte la Pennsylvanie. Enfin. J’imagine que cela ne va pas changer grand-chose, dans quelques semaines je serai en Illinois, là où a eu lieu la nouvelle tuerie avec armes à feu. Toutes les chaînes de tv en parlent en boucle, mais pas du deuxième amendement. Quelle folie ce pays. Je suis à nouveau protégée par le seigneur grâce à une dame qui s’arrête en voiture car elle m’a déjà vue marcher hier, alors elle veut savoir pourquoi je marche. Je lui raconte mon histoire et elle repart fascinée. Après 30 kilomètres de marche, je n’existe plus, je ne suis même pas le zombie d’un zombie, juste j’avance. Et c’est le grand championnat des hautes collines qui s’enchaînent. Quand tu arrives au pylône relais pour les téléphones, tu te dis bah ils ont dû mettre ce truc au plus haut. Et bien non. Bref, j’arrive dans mon motel du soir telle une loque. Mais je m’en fous, j’ai sauvé une tortue.

1-logo1-TRANS-2-Revers.png

<

Mardi 5 Juillet 2022

Jeudi 7 Juillet 2022

>

1-logo1-TRANS-2.png

La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

Fondation Antoine de Galbert
FRAC Bourgogne
Artothèque de Caen
Station Mir ・ Festival ]Interstice[
Maison des arts - centre d'art contemporain de Malakoff
Association La Belle Époque
bottom of page