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Dimanche 31 Juillet 2022

Casey, Illinois, USA
Greenup, Illinois, USA
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18,8
Kilomètres

Jour 56

Il y a 1 an pile, j’arrivais à Munich après 35 jours de marche et 978 kilomètres. Je reprenais les mots de Werner Herzog et disais avoir accompli « l’insensé ».
Aujourd’hui, après plus de 1400 kilomètres, à mi-parcours, je prends la route sans voir le lever du soleil sur les parkings de camions qui m’entourent. J’ai pris mon temps. Je marche pour Félix qui vient d’arriver au monde et je pense à ses parents heureux que j’aime beaucoup. Welcome tout petit Félix. 40 mon Amour, je te rejoins. Et, découverte incroyable, à Casey, il y a aussi le plus grand support de balle de golf de la terre entière. Si ça ce n’est pas la totale classe. Alors, Bob a fait une méga fourche, Joe un fucking marteau, Brandon des bois de cerfs qui claquent sévère, Tyler un carillon qui tue, moi je vais me faire un support de balle de golf qui va tous les scotcher grave. Yes Mam. Bon, je ne l’ai pas vu et on s’en fout. Je pense au travail d’Edouard Levé. J’ai toujours aimé ses livres. Je lis régulièrement des passages de « Œuvres » à mes étudiants (il y décrit des œuvres d’art qu’il n’a jamais réalisées, et quasi toutes les pièces sont bonnes ou font penser à une pièce qu’un autre artiste a faite plus tard). Dans « Autoportrait », dans une suite de phrases sans liens entre elles, il énumère des choses qu’il aime ou déteste, des souvenirs, des poncifs, de l’intime. J’aime ce livre encore plus que tous, si c’est possible. Et il se trouve qu’il l’a écrit pendant 3 mois, le soir, dans des motels américains. Il était seul et déprimé par ce qu’il voyait. Il réalisait alors une série photographique intitulée « Amérique », dans laquelle il nous donne à voir l’Amérique profonde, celle que je traverse, en ne visitant et photographiant que les villes homonymes (Paris, Amsterdam, Rome, Bagdad, Berlin…). J’ai pensé à lui toute la matinée. J’aurais aimé le connaître, le rencontrer. Son dernier livre, « Suicide » m’a bouleversée. Il y raconte le suicide d’un de ses amis d’enfance. Il poste le manuscrit à son éditeur, puis se suicide à 42 ans. Et moi je suis la ligne blanche à gauche de la 40. La route est vide. La chaleur est accablante, je crains pour les jours à venir. J’ai tout testé avec la marche. Les montagnes, les chemins dans les rochers, la forêt, les champs, la boue, la pluie, les inondations jusqu’au-dessus des genoux, la ville, les lignes droites, marcher bourrée ou avec une bonne gueule de bois, mais la grande chaleur, jamais. Je ne sais pas comment mon corps va accepter cela. J’espère qu’il va supporter les longues étapes qui nous attendent. Mes escales du soir dépendent uniquement des endroits où il est possible de dormir. Et ce n’est pas facile sur la 40. Entre chaque étape, et ce jusqu’à Saint-Louis, il n’y a rien que des champs. Aujourd’hui je suis forcée à une marche courte, avant de repartir dans le néant beaucoup plus longtemps demain. J’arrive donc avant midi à mon motel. Un bon vieux motel old school comme je les aime. Juste en face il y a une immense station-service « Loves ». Il faut que j’aille voir cela. C’est immense, magasin + fast-foods qui s’enchaînent. Je vous fais quelques photos pour l’ambiance. Ça fait un peu peur. Pour 3 dollars, je m’offre une espèce de salade que l’on peut composer soi-même. Tout le reste est de la friture. Je retourne vite dans ma chambre, je révise mes trajets futurs et m’octroie du repos car les étapes à venir vont être plus complexes. On verra. Je vis vraiment au jour le jour, avec juste une perspective des 3 nuits à venir. Et j’ai le bonheur extrême d’être encore en vie chaque soir. Et de tracer quelques millimètres en rouge sur ma carte.

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Samedi 30 Juillet 2022

Lundi 1 Août 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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