Jour 34

Up and Down. Today is Down. Petit dégoût états-unien. The National Museum of NUCLEAR Science & History. Je ne pouvais pas ne pas y retourner. Mes premiers élans avec Psyché étaient entièrement tournés vers le nucléaire. Il y un peu plus de 10 ans, je suis allée à Chernobyl, à Fukushima, à Hiroshima, j’ai arpenté les limites de tous les sites américains liés à la bombe atomique. Puis, j’ai fait un tour de France de nos cathédrales nucléaires. Psyché était le vecteur de mon angoisse et mon impuissance devant les désastres et les risques atomiques. J’ai réalisé deux films et une série de photographies pendant plusieurs années sur le sujet. Tentant de le traiter et de sensibiliser avec la poésie. Je ne savais rien faire d’autre. Après avoir vu tout ce que j’ai vu, appris tout ce que j’ai appris, le militantisme s’est imposé. Innocence lost. Être accompagnée par les ONG (Greenpeace en particulier) m’a aidé à essayer de comprendre l’incompréhensible, les démiurges fous que nous avons été. J’étais donc venue ici, à Albuquerque, et avait fait des images dans ce musée. Y retourner aujourd’hui m’a mis une gifle, m’a retourné le ventre, m’a fait exploser de rage. C’était déjà le cas, mais de façon moins ostentatoire. Le musée est devenu lieu de propagande. Le nucléaire c’est l’avenir, c’est fun, c’est rigolo, c’est pop. Tu es accueillie par une exposition intitulée « At play in the Atomic Age ». Soit des jouets funs et colorés d’époque. Tu appuies sur des boutons pour faire circuler un petit train de déchets nucléaires, plus loin tu vas faire joujou dans le « Little Albert’s Lab ». Et tout cela est mixé avec l’histoire de Manhattan Project, les bombes Little Boy et Fat Man qui ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki, les voitures des chercheurs d’Alamogordo, des missiles atomiques de toutes formes, des vitrines « Atomic Pop Culture ! » avec des goodies estampillés de l’atome. La salle qui te faisait « vivre » une explosion nucléaire à grand renfort de vibrations n’existe plus. Les conséquences sur les 2 villes japonaises sont résumées en quelques photos de petit format posées dans l’ombre :

- les cibles (on voit les 2 villes vues du ciel avant bombardement)

- l’effet (une petite photo d’Hiroshima détruite)

- la renaissance (3 photos en noir et blanc d’enfants et de femmes japonaises qui sourient)

- la reconstruction (une vue en couleur d’Hiroshima aujourd’hui).

That’s it. Pour qui est allé.e (ou pas d’ailleurs) à Hiroshima et a visité le Musée du Mémorial de la Paix, c’est intolérable. On enchaîne direct sur la guerre froide. La compétition de qui aura la plus grosse. Des gros missiles partout s’entassent. Et dans un coin, des affiches sous la phrase « Les cas d’accident ». Three Mile Island. Fukushima. Chernobyl. Et là, on apprend que la catastrophe de Chernobyl a fait 32 morts. J’ai la gerbe. Juste en face, à grand renfort de maquettes aux couleurs criardes, sponsorisées par Areva, les projets du futur, le nucléaire de la paix et de l’écologie. Je craque. Je sors respirer en courant. Je me retrouve dans le parc/garage/casse à missiles et bombardiers. Je pleure toute ma rage, sanglote mon dégoût. Je mets du temps à me reprendre. Pour partir de là il faut retraverser le musée. Un bénévole animateur à la retraite me dit que je peux laisser un commentaire sur le livre d’or et là j’explose. Ce musée est une honte, c’est de la propagande, vous avez effacé tous les désastres et catastrophes, vous ne montrez que du fun, je fais de grands gestes en hurlant « Nuclear is pop, n’avez-vous pas honte ? ». Vous changez l’Histoire. Alors le type m’emmène devant les affiches qui parlent des accidents de centrales. Mais si, ici, dit-il. Je lui montre le chiffre 32. 32 morts à Chernobyl vous vous foutez de ma gueule ? C’est cela que vous apprenez aux enfants ? C’est la guerre en Ukraine monsieur, la centrale de Zaporijia sert d’arme de guerre et le nucléaire c’est pop ? Oui j’ai pété un plomb. Et mon anglais était parfait. Je suis partie me calmer en regardant des dinosaures animatroniques au Musée d’Histoire Naturelle. Fuck it. Fuck this world.

Nowhere is my future.