Jour 20

Je l’avoue, chaque matin, au réveil, j’ai un peu peur de ce qui va bien pouvoir encore être imaginé comme galère pour empêcher mon chemin, et essayer coûte que coûte (ou quoi qu’il en coûte) d’entraver mon optimisme (tout relatif). Mais aujourd’hui c’était plutôt une bonne journée. Une super journée même. Sentir l’air frais du petit matin. Le soleil semble déjà haut tellement tout est plat. Il fait bon. Je respire. Je respire. Je respire. J’oublie ma mauvaise nuit passée à tenter de ne pas faire l’éponge de la misère du monde. À la station-service d’où doit partir le petit bus que je vise, la jeune femme navajo me confirme qu’il sera là dans 1 heure et que je pourrai payer directement auprès du chauffeur. Je suis arrivée en avance. Je rencontre alors Linda et Cheryl. Une mère et sa fille. Elles attendent un bus Greyhound qui évidemment est en retard. La discussion s’enclenche sur les tatouages. Ma jambe avec le nom des villes traversées amène au fait d’aller Nulle part. Cheryl (la fille) espère pouvoir voyager bientôt. Elle aimerait emmener son fils de 14 ans au Japon. Pour l’instant, il attend sa mère et sa grand-mère dans la chambre d’un motel avec leur chien. Leur voiture est tombée en panne à cause de la chaleur, elles vont en louer une à Flagstaff. La famille de Cheryl déménage de la Californie au Texas. Elles allaient visiter la nouvelle maison avant que la voiture ne succombe. Les discussions de personnes qui se rencontrent pour la première fois font toujours des circonvolutions étranges. Je ne sais plus comment on en est arrivé au véganisme, mais Cheryl l’est également. Elle m’offre un snack végane qui imite parfaitement le bœuf séché (je n’ai pas encore osé goûter). Elle en a pris plein en Californie, certaine de ne pas en trouver au Texas, chez les rois du steak. Linda tient à m’offrir mon voyage en bus (5 dollars), pour une participation à ce projet qui les fascinent. Nous sommes en pleine discussion animée lorsque la jeune femme de la station-service vient vers moi en courant pour me dire que le bus est arrivé. Je ne l’ai pas vu venir car il est tout petit. Je file en envoyant des baisers de la main à ces 2 femmes adorables et complices. Werner est monté dans le mini bus avec une rampe pour les fauteuils roulants, je mets le billet de 5 dollars dans une petite urne en verre. Et c’est parti pour un film d’1 heure 30 avec des dinosaures dedans. Tout droit vers le sud. Dans le bus conduit par une très jeune femme, il n’y a que moi et un très très très gros jeune homme navajo qui comate sur les sièges du fond. Ma playlist préférée englobe mon cerveau, m’extrayant de tout, et je regarde le paysage passer du jaune au vert. Du plat à des collines. Nous arrivons à Show Low. Jolie petite ville coincée entre des terres navajos et des terres apaches. Et là, après cet immense détour en bus et voiture pour éviter la canicule meurtrière, me voici à nouveau sur mon chemin initial. Ma vraie route pour Nulle part. Et même si je reprends ma feuille de route au moment où elle se complexifie (longues distances entre des lieux pour dormir possibles), cela se fête. Alors direction un Tattoo Shop. C’est Persephone qui m’accueille (incroyable, la déesse des enfers !!) et qui tripe immédiatement sur le projet tatouage. Elle est heureuse d’y participer et me propose sa belle écriture pleine de courbes. SHOW LOW. J’adore ce nom de ville. Persephone aussi rêve un jour de voyager, et me dit en faisant une photo de ma jambe, qu’un jour elle en aura une comme ça. Elle me fait un hug géant. J’adore ces hugs américains si sincères sur l’instant. Ils font du bien à la solitude. Werner est heureux de se dandiner enfin derrière moi. Un orage nous suit mais ne nous rattrape pas. Nous traversons la ville jusqu’à un Motel 6 bien cheap. Je m’en fous, les draps sont propres. Étude des cartes. Le camping arrive bientôt.

Nowhere is my future.