Holbrook, Arizona, USA
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Flagstaff, Arizona, USA
Jeudi 20 Juillet 2023
8,7 + (143)
Kilomètres
Jour 19
Surréaliste. Je ne sais même pas comment vous raconter. Je vais essayer de le faire mood par mood. C’est seulement cette nuit que j’ai trouvé la solution pour rejoindre ma route. À force de triturer des cartes dans tous les sens j’ai fini par ouvrir une voie. Et je peux vous dire que je respirais mieux. Première étape un bus Greyhound qui m’emmène à l’Est. Avec Werner, nous étions heureux d’arriver à Flagstaff il y a quelques jours, nous le sommes encore plus de quitter cette ville aujourd’hui. Dans la station Greyhound, deux types de personnes se côtoient, des gens lookés avec une belle valise à roulettes qui vont à Las Vegas avec le prochain bus, et des SDF qui viennent prendre un peu le frais, de l’eau ou aller aux toilettes. Le bus est très en retard. Celui pour Vegas est annulé au dernier moment. Les gens bien sapés disparaissent. Je reste seule avec les abîmés de la vie. Et bim, après 2 heures d’attente, la dame de la station dit que le bus que je dois prendre est annulé aussi. Il faudra prendre le bus de demain (1 seul bus en journée). Par la même occasion elle dit que hier ce bus a également été annulé. Panique. Mon nouveau chemin fraîchement préparé cette nuit part déjà en vrille. Je ne sais que faire. Je téléphone à Aurélie 2. Pendant que je lui parle en PLS totale, la dame nous dit que le bus va finalement arriver, mais elle ne sait pas trop quand. Il a eu des problèmes sur la route à cause de la chaleur (il vient de Phoenix). Me voici alors rassurée. Il faut juste encore patienter. Je parle un peu avec un monsieur accompagné d’un chien. Il n’a pas de dents (le monsieur, pas le chien), mais à un moment, il va aux toilettes et revient portant un dentier, tellement blanc et fait si grossièrement que c’en est terrifiant. Attendre. La dame de la petite station devait finir son job à 13h. Heure de départ prévue pour notre bus qui était le dernier à partir de la journée. Elle s’occupe aussi, lave les vitres. Ne sait que nous dire. Deux heures à nouveau plus tard, le bus arrive. Tout le monde dans la station crie de joie, quelqu’un dit « Thanx God ! ». Mais immédiatement, on se rend compte qu’il y a un problème. Les gens sortent du bus trempés de sueur. Cela fait plus de 4 heures qu’ils roulent sans climatisation. La chauffeuse de bus, une femme noire avec juste une dent, n’en peut manifestement plus. Elle hurle au téléphone. La dame de la gare sort un petit tuyau d’arrosage pour tenter de refroidir le bus. C’est complètement dingue. Une pauvre femme en fauteuil roulant, toujours coincée dans le bus demande de l’eau. Tous les autres passagers sont allés se réfugier dans la petite gare pour la clim. Ceux qui attendent comme moi de monter depuis plus de 4 heures assaillent la conductrice de questions. Surtout « Quand allons-nous partir ? ». Et là, la pauvre dame craque. Elle abandonne son poste. Elle ne veut plus conduire dans ces conditions. Elle a encore 6 heures de route jusqu’à Albuquerque. Elle s’isole. Je vais lui demander comment elle va. Elle me dit « Mal. Ce bus ne repartira pas, mon cœur va lâcher avant lui. » OK. Je comprends parfaitement et demande à l’autre dame, celle de l’accueil, qui a donné le tuyau d’arrosage à un des passagers, ce qu’il va se passer. Elle me répond qu’il n’y a pas d’autre chauffeur, pas d’autre bus. Il faudra attendre le bus de nuit qui passera peut-être vers 3h du matin, mais elle n’est pas certaine de pouvoir mettre tout le monde dedans car il est déjà plein. Bien. Entre temps, on a sorti la pauvre dame en fauteuil roulant du véhicule étuve. La nouvelle commence à se répandre. Tout le monde est coincé à Flagstaff, et aucune solution n’est proposée. Et là, cela devient l’apocalypse (Thanx God). Insultes à la chauffeuse, des hommes disent qu’ils vont conduire eux-mêmes et s’échauffent entre eux, des femmes crient, d’autres pleurent. Des ados appellent leurs parents en stress total. C’est un cauchemar. Je dois absolument me sortir de là. Ma destination est la prochaine ville à 143 kilomètres, j’y ai réservé un motel non-remboursable. Demain matin, je dois prendre un petit bus local qui ne circulera pas durant le week-end. J’essaie de ne pas paniquer. Je regarde combien coûte un Lyft. 200 dollars. Je panique. Je réveille Aurélie 2. Elle entend ma panique. « Prends cette voiture. Sors-toi de cette situation. Des jours meilleurs suivront. ». 20 minutes plus tard Kenneth arrive. Et on part sur une autoroute absolument toute droite qui traverse une « réserve » (j’ai du mal à utiliser ce mot) navajo. C’est tout plat et jaune. J’ai du mal à tenir la conversation. Tout cela m’a épuisée. Et Kenneth a un accent que j’ai du mal à comprendre. Et puis je suis un peu absente. Me demandant si les galères vont continuer à tout jamais. Je ne retiens qu’une chose importante. Cette « réserve » est la plus grande en termes de territoire dans le pays, mais les Navajos ne sont pas si nombreux (je n’ai pas compris le chiffre). Donc c’est très peu peuplé, et la moitié d’entre eux vivent sans eau ni électricité. Et ils reçoivent un chèque de l’état quand ils ne travaillent pas. (« Et c’est pour ça qu’ils ne travaillent pas ! » dit Kenneth, je comprends alors qu’il est limite politiquement, c’est aussi pour cela que je ne soutiens pas la conversation). Nous arrivons dans la petite ville de Holbrook, en terres navajos. C’est le point de chute pour aller visiter Petrified Forest, le Park se trouve quelques kilomètres plus loin. Je monte Werner dans la chambre. Je regarde et trie les quelques photos du jour et je fais mes comptes. Je suis hors budget, il va falloir faire serré pour la suite. J’ai besoin d’air. Je sors regarder où je suis. Tout autour, une vaste plaine désertique, au loin, des formations rocheuses. Je m’assoie sur un banc et contemple. Le soleil se couche, tout devient orange jusqu’au bout de l’horizon qui semble si loin à 360 degrés. Un train passe. Moment sublime, qui fait un reset de ma journée. Définitivement apocalyptoptimiste. Demain, si tout va bien (ahahah), un petit bus me fait retrouver mon chemin initial. Et peut-être alors, je pourrais marcher vers Nulle part.
(Avec tout ça, je n’ai pas pensé à faire une photo de ma main, je vous la fais devant le rideau du motel.)
Nowhere is my future.