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Los Angeles, Californie, USA
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Los Angeles, Californie, USA

Mardi 4 Juillet 2023

17
Kilomètres

Jour 3


Comment vous dire.

Si, il y a eu un moment magique aujourd’hui. Absolument magique.

Réveil 2h18, je regarde immédiatement mes mails et le site Air France sur lequel je ne suis qu’un numéro. Toujours pas de nouvelles. Mon bagage n’a pas été déclaré arrivé. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer des scénarios. Et si Werner n’arrive jamais. Et s’il arrive cassé. Comment est-ce que je transforme ce projet ? Sans rien pour porter, dormir, me vêtir, me soigner. Comment aller Nulle part avec rien ? Déjà il faut essayer de me rendormir. 3 heures de sommeil ne suffisent pas pour élaborer des plans. Les plans d’insomnie sont de toute façon toujours foireux. L’état d’optimisme dans lequel je déclamais vouloir être pendant cette marche en miroir se marre tout seul. Mais bon, hier soir, j’ai réussi à manger mon plat de lasagnes véganes surgelé avec un peigne fourni par le motel. Si cela n’est pas de la totale maîtrise de l’adaptation, c’est que je n’ai qu’à rentrer chez moi.

4h29. Il faut que je fasse croire à mon cerveau que je veux dormir. Je trouverai un moyen de faire 2300 kilomètres dans le désert avec un tote bag, un mini sac à dos qui coupe les épaules et une robe à 10 balles plus tard. Mon réveil sonne dans 2 heures. J’ai un rendez-vous. J’émerge en sursaut à 6h22 avant la sonnerie. J’appelle Air France immédiatement. Il n’y a toujours pas de nouvelles. Werner est bien planqué. On est incapable de me dire où il est. On m’apprend juste que cela peut durer plusieurs jours et que même peut-être il pourrait être renvoyé en France (s’il est perdu à Los Angeles). Et dans 21 jours, il sera déclaré perdu pour toujours. Bien. Autant dire que l’Unik Motel, dans un no man’s land de gros axes routiers, je vais bien le connaître. Je prends une nuit de plus (qui me coûte un bras car nous sommes le 4 juillet) et réussis à annuler le motel qui se trouvait à ma prochaine étape. Car j’aurais dû commencer à marcher ce matin. Depuis la tombe de Monsieur Bukowski. À 7h, je prends donc la route direction le Green Hills Memorial Park, là où repose le poète de ma vie. À 1 heure de marche de mon motel, c’est pourquoi je l’avais choisi. J’ai tant parlé de Buk à Werner, il va être triste de ne pas être avec moi (ou c’est moi qui le suis ? Je ne sais plus). Le gardien du Park me voit arriver de loin et me salue cordialement. Et là, c’est le moment magique. Il me dit « Vous venez voir Charles Bukowski ? ». Je reste ébahie. Il me dit qu’il l’a senti, et que lui aussi va souvent lui rendre visite. Il me donne un plan et me dit que la tombe est juste derrière le petit oiseau à côté de sa cage. Je ne comprendrai cette phrase que lorsque je verrai la marque au sol. Des larmes montent doucement en entamant la montée dans le cimetière. Je m’effondre à genoux devant la plaque tombale, pose mes 2 mains sur son nom, et pleure un océan. Un océan sans fin. Une planète océan. Buk, j’ai tant appris de toi. Les hommes (avec un petit h). Leurs failles, leur tendresse, leur violence. La poésie possible avec des chambres sales, des oiseaux bleus dans le cœur, des slips souillés, des chats, des femmes, du vin, de la bière, des insultes, des clopes, une vieille machine à écrire, des ongles de pied, des couchers de soleil, un lacet qui casse, de la solitude et la galère. Tu es là en cendres sous mes mains. J’étais venu te voir il y a 14 ans. Le Covid m’a empêchée d’être là pour fêter tes 100 ans vieux dégueulasse. Mais je suis là, pour aller Nulle part. Avec toi.

L’océan s’est tari et Mila est arrivée. Nous avions rendez-vous pour refaire la photographie réalisée il y a 14 ans. Mila est française et vit à LA depuis plus de 20 ans. Nous nous sommes rencontrées via Facebook et nous voyons pour la première fois. Nous nous parlons comme si nous nous connaissions. Je lui donne envie de relire Buk, elle me raconte un fabuleux concert de Siouxsie. Nous attendons qu’il n’y ait personne alentour pour mettre en place le dispositif de la photo. Elle fait des tests, la lumière n’est pas très bonne. Au moment de faire réellement l’image, un flic en patrouille nous interdit de faire des photos, surtout dans cette position. L’image n’est donc pas celle que j’attendais. Mais ce n’est pas grave, Buk et moi savons. Je lui dis au revoir et Mila me ramène à mon motel. Il est à peine 10h. Que faire de ma journée ? Il faut que je m’occupe à autre chose que la fabrique de scénarios pour Nulle part sans rien. À 11h, j’en suis à me dire que je vais acheter une valise, quelques fringues, et aller en bus de ville en ville en faisant de gros détours pour avoir des Greyhound, et arriver Nulle part avec un mois d’avance pour y vivre et travailler bénévolement à la petite supérette. Je me dis alors qu’il faut que je sorte de cette piaule glauque. Je décide de faire du tourisme et d’aller sur Hollywood Boulevard pour me changer les idées. Je prends un Lyft (beaucoup moins cher qu’un Uber, merci Aurélie 2) pour faire les 44 kilomètres qui me séparent du nid à touristes. Chauffeur silencieux. Je laisse mes yeux glisser sur l’autoroute et immédiatement arrivée, je regrette d’être là. Trop de monde, trop de bruit, trop de consommation, trop de tout. Je me laisse un moment prendre au jeu de chercher les étoiles des personnalités que j’aime, me réjouis de revoir Musso & Frank, le resto de Buk, quand enfin, à la fin de sa vie, il a eu de l’argent pour ne plus faire que survivre. Je retrouve l’étoile de Marilyn qui me rend toujours aussi triste juste devant le McDonald’s. M’extasie à nouveau de ses tous petits pieds et toutes petites mains figés dans le ciment devant le Chinese Theatre. Très vite je bugue. À côté des centaines de touristes qui surconsomment et partent faire des tours organisés pour visiter de loin les maisons des stars, des dizaines de SDF dans un état même pas imaginable. Vivants à même le sol, pieds nus, crasseux, délirants, fumant les vieux mégots jetés, buvant des fonds de canettes trouvées dans les poubelles, traînant des couvertures miteuses. Dans l’indifférence absolue. Tout le boulevard sent le SDF. La pisse, la merde, le linge moisi, la détresse et la misère. Les scientologues ont pignon sur rue. C’est trop pour moi. J’ai honte d’être là. Je fuis et rentre à mon motel à 14h. Andrei, le chauffeur Lyft est russe et adore parler. Les bouchons sur la route nous permettent une longue discussion sur son pays et la guerre. La folie de Poutine et les maîtres d’école obligés d’aller sur le front. Les émeutes en France ne passent pas inaperçues ici. Il n’imaginait pas du racisme en France. Je n’ai pas osé lui parler de la cagnotte géante pour soutenir le flic qui a tué Nahel. Être optimiste ne se révèle pas simple. Je lave les 3 pauvres fringues que je possède et appelle une énième fois Air France. La musique du répondeur me rend dingue, merci de bien vouloir patienter quelques instants, musique à en mourir, nous vous prions de bien vouloir nous excuser de cette attente, musique à vouloir tout péter, veuillez patienter votre appel sera traité dès que possible, mais qu’est-ce que je fous là ?!


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La publication de ce journal est soutenue par Les Tanneries - Centre d'Art Contemporain d'intérêt national à Amilly.

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