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Palm Springs, Californie, USA
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Palm Springs, Californie, USA

Lundi 10 Juillet 2023

12,2
Kilomètres

Jour 9


Cette ville a trop à offrir. Il n’y a aucune raison pour que le chemin vers Nulle part ne soit pas parsemé de petits bonheurs volontaires. Je prends donc mon temps ici. Et cette journée sera mémorable éternellement ! Je commence par prendre le petit déjeuner offert chez Rick’s (trop gros pour mon estomac) et Paul, le gentil gérant du motel m’emmène en voiture jusqu’au tramway aérien qui te fait monter au-dessus des montagnes à 2500 mètres d’altitude. Paul est libanais et ira pour la première fois en France le 4 août pour le mariage d’un ami. Il se réjouit de visiter la Normandie et Bordeaux. Il me montre des endroits sur le chemin qui ne sont pas encore construits, mais achetés plusieurs millions de dollars pour la vue exceptionnelle. Les gens riches viennent passer l’hiver ici car le temps est parfait. Là, nous sommes hors saison à cause de la chaleur, il n’y a que les petits européens tous blancs pour venir là en plein été. Le téléphérique géant qui tourne sur lui-même pour t’offrir toute la vue est d’ailleurs rempli en partie de français. La montée est impressionnante, l’arrivée un bonheur de fraîcheur. Un sentier en béton part de la sortie de la cabine. La plupart des gens restent là. J’ai vu en bas qu’il y avait de nombreux trails dans la forêt et je compte bien en profiter. Mais j’ai compris qu’il fallait un permis et ne sais pas comment m’y prendre. Au milieu des touristes en tongs et avec enfants, un homme au pas décidé, équipé randonnée. C’est Michael. Je l’aborde en lui demandant s’il connaît les environs. À partir de ce moment, nous allons passer 6 heures ensemble. Il vient marcher tous les jours ici. Il connaît chaque chemin, et même chaque pierre de chaque chemin. Michael a 80 ans. Et il est mon héros. Mon amour du Mount San Jacinto. Il m’emmène à la station des rangers pour que j’obtienne mon permis de marche dans la réserve naturelle. En chemin je lui raconte mon histoire et il est fasciné. Arrivés chez les rangers, connu comme le loup blanc, il me présente direct comme la femme qui traverse les États-Unis à pied. Le ranger me montre un plan avec des boucles possibles, mais me prévient que les chemins sont difficiles et pas très balisés. Michael propose alors de faire la première partie de la boucle conseillée par le ranger avec moi. Il devient mon guide, mon bodyguard, mon mentor. Je pose chacun de mes pas dans les siens, il est précis et prudent. Jamais je n’aurais trouvé ces chemins sans lui. La discussion s’entame. Il est passionné d’art, de peinture surtout. Il a beaucoup voyagé dans le monde pour voir des musées et des art fairs depuis sa retraite il y a 16 ans. Son peintre préféré est Cézanne, quand je lui parle de Caspar Friedrich, il cite immédiatement « Le voyageur contemplant une mer de nuages », dès que je lui parle d’un tableau, d’un musée ou d’une ville dans le monde, il connaît. Je l’appelle « Mon petit Google ». Cela le fait beaucoup rire. Au moment où nos chemins devaient se séparer, il me propose de continuer avec lui. Mais of course !! Alors par des passages secrets, il me mène à ses endroits préférés, me fait sentir les arbres, me montre des plantes. Nous parlons littérature, il aime Bukowski également, me cite tous les livres de Richard Brautigan. Cet homme est tout simplement merveilleux. Au début de la marche, j’avais un peu peur qu’il se fasse mal, qu’il tombe, qu’il soit fragile, car quand il a voulu me montrer sur son téléphone sa dernière randonnée dans le Grand Canyon, ses doigts tremblaient terriblement. Il a dû voir et comprendre que je m’inquiétais pour lui, alors il m’a montré comment il entraînait son équilibre, en marchant sur un tronc d’arbre mort avec la délicatesse d’une gymnaste russe sur une poutre. Nous nous sommes retrouvés sur le fait qu’il faut profiter de la vie chaque jour sans trop réfléchir au suivant, sur le fait que la Nature est fabuleuse et puissante et que ce n’est pas la fin de la planète qui arrive mais juste la fin de l’humanité. Sauf qu’il y a l’arme nucléaire. Grande discussion sur la folie de Poutine, la connerie de Trump, il vient de finir un livre sur l’histoire de l’empire romain, nous parlons alors de la chute de grandes puissances, de celle de son pays qu’il ne pensait pas voir arriver de son vivant. Je lui raconte Hiroshima et l’espoir qu’a amené la première petite fleur qui a repoussé sur les ruines atomisées. Et là, alors que nous arrivons sur sa favorite place et que nous nous asseyons sur un tronc d’arbre pour contempler la vue, il me dit « Tu sais Lydie, dans ma vie j’étais pilote de B-52. Un des plus jeunes commandant d’escadron de bombardiers B-52. ». Je me relève et lui dis « What ? Michael répète ce que tu viens de me dire, je n’ai pas dû comprendre. Je randonne avec un ancien pilote de bombardier !! ». Mais il n’a jamais largué de bombe. Et il a eu l’envie de devenir pilote en voyant Docteur Folamour de Kubrick. Non mais j’hallucine, cet homme me fascine ! Nous sommes en plein dans cette discussion très animée, à grand renfort de gestes puisque mon anglais est minable, quand arrive sans que l’on s’en aperçoive un marcheur qui nous propose de nous prendre en photo. Comme si nous étions de vieux amis. Ce que nous avons l’impression d’être ! On partage notre nourriture, il me propose même un petit Cognac ! J’apprends que sous le soleil si fort, il faut manger beaucoup de sel, alors que je n’ai que des barres de céréales. Il me gave alors de chips. Nous continuons la marche en parlant des animaux, puis de Land Art. Il me propose de me ramener à mon motel en voiture, ou si je veux, de venir chez lui pour voir sa collection de peintures. Oh mais oui, let’s go. Le téléphérique nous redescend dans la chaleur écrasante et dans la voiture, il me confie que sa première amoureuse quand il était ado, lui écrit encore par e-mail. Elle vit à Chicago et ne s’est jamais mariée. Michael vit seul depuis sa retraite, sa femme a voulu divorcer quand il a voulu quitter Washington trop humide pour s’installer à Palm Springs. Je lui dis « Mais il faut aller voir ta première amoureuse à Chicago ! ». « Je n’ose pas » répond-t-il. Petit cœur. Comme j’aime cet homme. Chez lui, c’est rempli de livres sur l’art, de musique et de toiles au mur. Ce n’est pas trop à mon goût, mais c’est tellement merveilleux qu’il partage cela avec moi. Ma première invitation états-unienne. Il me fait écouter sa musique préférée, un morceau lyrique en français que je ne connais pas. Il vit dans une communauté privée, dont quasiment toutes les maisons ne sont habitées que l’hiver par de vieux riches qui jouent au golf. Michael déteste le golf. Après m’avoir présenté chacun de ses tableaux qu’il adore contempler car il comprend à chaque fois plus le geste de l’artiste, m’avoir offert un verre, il me raccompagne à mon motel. En sortant de la voiture, nous nous faisons un hug géant. Nous sommes heureux tous deux de cette journée ensemble durant laquelle nous avons fait fusionner nos solitudes. Mon petit Google, prends bien soin de toi.


Nowhere is my future.

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Dimanche 9 Juillet 2023

Mardi 11 Juillet 2023

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