Jour 22

J’ai passé la nuit à mettre, puis enlever la clim à l’infini, à éteindre mon téléphone puis le reprendre pour consulter les cartes, changer d’idée sur le chemin à prendre, vérifier si celui-ci n’est pas mieux qu’un autre. Faire des captures d’écran de toutes les options, car je savais que je n’aurai pas de réseau peut-être plusieurs jours. Je traverse un territoire apache. Au lever du soleil, j’ai repris la montée sur la 260 (que j’ai emprunté sur 28 kilomètres), ai fait un arrêt station-service pour charger au maximum Werner en eau, il n’y aura plus rien sur la route ensuite. Pour pouvoir camper dans la « réserve », il faut se procurer un permis. C’est un des tatoueurs du shop de Persephone qui me l’avait dit. Ils sont délivrés dans un magasin outdoor, juste à l’entrée du territoire. Cela me coûte 9 dollars la nuit. De l’autre côté de la route sur laquelle je marche, dans la forêt, bien à l’ombre sous les arbres, des vaches. Alors évidemment je leur parle. Des vaches apaches. C’est génial à dire. Dites-le à haute voix, vous verrez, cela roule trop bien dans la bouche. Des vaches apaches. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens fière d’être là. Retrouver le plaisir de marcher, ne plus penser à rien, être juste ici, maintenant. Mais il faut être sacrément attentive, cela roule très vite et parfois je n’ai pas du tout d’espace pour marcher. La route est longue et rude, il y a comme un air de déjà-vu. Mais non. Je marche dans l’autre sens. Le soleil est bien en face de moi. Direction l’Est. Nulle part est à l’Est cette fois. Le paysage oscille entre prairies et forêts de grands pins. Une bande de cinq chiens, assez gros et tous différents traverse la route, langue pendante, dans une course effrénée. Ils sont impressionnants. Je me concentre pour ne pas montrer un brin de peur lorsqu’ils ralentissent et me regardent. Ils ont eu une chance folle de traverser tous les 5 sans qu’une voiture ne passe. J’ai eu la chance qu’ils ne soient pas suffisamment affamés pour faire attention à moi. Je traverse le petit bourg de McNary. Les conditions de vie sont vraiment rudes dans cette partie de la « réserve ». Je peine sur une longue montée quand un orage gronde. Le ciel se couvre très vite. Il pleut très fort d’un coup. Cape de pluie étuve. Et j’arrive enfin dans mon camping. C’est sommaire. Comme du camping sauvage. Mais avec des voisins en méga camping-cars. L’orage s’arrête et il fait à nouveau très chaud. J’installe ma tente, un peu bancale, je ne la connais encore pas assez. Deux hommes en voiture s’arrêtent et me demandent enthousiastes, d’où viens-tu, où vas-tu et c’est quoi ce truc (Werner). J’explique tout. Ils m’offrent un gallon d’eau. Et m’encouragent. L’orage reprend de plus belle, je file mettre tout au sec. Pendant toute la fin de l’après-midi, les orages vont aller et venir. Il y en a même un très fort avec de la grêle. J’écoute sous ma tente. Je suis bien. Juste avant que je parte, mon amoureux m’a offert un ventilateur de camping. Il prend beaucoup de place dans Werner, mais là, je suis heureuse de l’avoir. C’est mon petit luxe.

Nowhere is my future.