Jour 15

Après 15 jours de solitude totale, c’est à chaque fois la même histoire, je me mets à parler toute seule. Je commente ce que je fais ou dois faire, m’engueule ou me rassure, selon le mood. Et là ce matin je me suis dit « Tu vas prendre ton petit-déj tout plastique offert par le motel, tranquille, dernière journée à Phoenix. Fais-toi plaisir, il n’y a pas de honte à ça ! Tu as trouvé un début de solution pour poursuivre le projet dès demain. Alors profite. Avoir du temps, c’est du luxe. Et n’oublie pas d’acheter de l’eau à la station-service. ». Je n’avais pas très faim, vivre en permanence avec la clim fatigue et n’aide pas au sommeil. Je ne sais jamais comment régler ce truc pour le supporter. J’ai trouvé une parade en occultant un bout de la ventilation. La forêt me manque. L’absence de fraîcheur naturelle. Même une douche froide n’est pas possible, l’eau sort du robinet très chaude. Tout est en surchauffe. Je pense à Haroun Tazieff. J’admirais cet homme enfant. Est-ce que la beauté d’un volcan en éruption fait oublier la chaleur ? Je ne pourrai malheureusement pas en discuter avec lui, il est mort bien avant de pouvoir imaginer l’état de la planète aujourd’hui. Et je n’ai vu que des volcans inactifs. Petite fille, je voulais être vulcanologue. Ou cosmonaute. Je suis artiste. Des profondeurs de la Terre jusqu’au fond de l’espace, j’ai la liberté de pouvoir tout questionner. Aller Nulle part les pieds sur un sol en feu, sous un ciel qui a la fièvre, est en tout cas là où j’en suis. Où nous en sommes. Me faire plaisir a été d’aller voir des milliers d’objets. Des objets avec une histoire, petite ou grande. Attendant d’être à nouveau activés, dans un autre environnement, une autre vie, avec peut-être une autre fonction. Le plus grand Antique Mall de la région. C’est à l’intérieur que j’ai fait mes 3 kilomètres du jour. Fouiller de mes yeux ces tas de vieilleries qui parfois m’emportent le cœur sans raison me stimule. Me transporte dans mon enfance ou dans des idées, des projets. Collectionner est pour moi une façon de repousser les limites, de donner l’illusion que la vie ne s’arrêtera jamais. Une bonne collection n’étant par essence jamais terminée, il y a toujours la quête du nouveau spécimen, le petit coup au cœur quand on le voit, et cela étire le temps. Oui j’ai acheté un nouveau Roi. Pour rejoindre mon armée, ma résistance. Mes Rois. Et même si être amoureuse d’objets peut sembler ridicule et dérisoire, je m’en cogne, cela rend heureux. « Profite ma fille. » me dis-je.

Nowhere is my future.