Jour 28

Tout droit sur la 60.

Non, ce n’était pas vraiment la même journée qu’hier, parce que j’étais dans les montagnes. Encore. J’ai franchi des montagnes, des dizaines de montagnes. J’ai traversé Cibola National Forest.

Non, pas une seule voiture sur la 60 pour venir perturber le silence du matin et le chant des coyotes. La route était à moi.

Non, il n’y a pas de mots pour vous dire à quel point le lever du soleil était beau sur les montagnes. Il les révélait petit à petit, leur donnait du relief, me montrait qu’elles n’étaient pas qu’un bloc, mais sur différents plans. Me laissant présager la suite du chemin.

Non, devant tant de splendeur, je n’ai pas pleuré mais j’ai eu envie, alors j’ai dansé, la 60 était ma piste. Et je me suis répété cette phrase de Rebecca Solnit « Tout marcheur est un gardien qui veille pour protéger l’ineffable. » (D’ailleurs si l’un.e d’entre vous a le livre dont est tirée cette phrase « L’art de marcher » en VO anglaise, je veux bien recevoir cette citation dans sa langue d’origine.)

Non, je n’ai pas pu prendre en photo les deux sublimes jeunes élans qui marchaient tranquillement dans l’herbe, car ils étaient en contre-jour. Ils n’avaient pas encore de grand bois mais déjà un gros nez.

Non, cela n’a pas été facile de repartir lorsque j’ai trouvé le seul point d’ombre de la matinée, sous un arbre et que j’y ai grignoté quelques douceurs dans un silence total.

Non vraiment, il n’y a quasiment jamais de voiture sur la 60. Ce qui me permet de vous faire de belles images de lignes qui partent à l’infini et de marcher sereinement.

Non, il n’y a toujours rien pour acheter une cigarette électronique et se ravitailler en eau. Il n’y aura rien pendant longtemps, aucune station-service, les villes étapes vont être de plus en plus espacées. Aller Nulle part va devenir encore plus complexe.

Non, je n’ai pas été rattrapée par l’orage qui me suivait au-dessus des montagnes. Il faisait tout pour m’impressionner (et il a réussi), il grondait très fort et lançait des éclairs éblouissants. J’ai marché le plus vite que je pouvais en me retournant régulièrement.

Non, je n’ai pas craqué sur les derniers kilomètres, accrochée à mon parapluie pour me protéger du soleil brûlant, luttant contre le vent qu’envoyait l’orage dans mon dos.

Non, le camping à 5 dollars n’a pas de douches, juste des robinets qui offrent de l’eau potable.

Non, il n’y a pas de réseau téléphonique.

Non, l’orage n’avait pas dit son dernier mot. Il a eu la gentillesse d’attendre que j’aie monté ma tente et rangé mon barda pour s’énerver très fort, mais alors très très fort, avec la grêle et le tonnerre qui fait vibrer tout ce qui t’entoure. Mais j’avais prévu le coup, je me suis installée sous une tonnelle. J’ai sécurisé ma tente avec de grosses pierres car le vent souffle fort.

Nowhere is my future.