top of page
00:00 / 1:55:48
Quemado, Nouveau-Mexique, USA
>>>>>
Springerville, Arizona, USA

Jeudi 27 Juillet 2023

6,1 + (77)
Kilomètres

Jour 26


(J’ai écrit la première partie de ce texte avant d’être ivre. Maintenant je le suis totalement.)


À Springerville, si je me tourne vers l’Est, il y a un vide de 77 kilomètres traversé en quasi ligne droite par la Highway 60. Pas un arrêt possible, pas une station-service, pas une construction, pas d’ombre, jusqu’au prochain village, Quemado. Quemado n’est pas n’importe quel petit bourg du Nouveau-Mexique. C’est le point de départ pour le lieu secret, où, perdu quelque part dans le désert se trouve The Lightning Field de Walter De Maria. Cette extraordinaire pièce de Land Art qui joue avec les orages depuis 1977. 400 poteaux en acier d’environ 7 mètres de haut sont installés sur un rectangle de 1 kilomètre par 1 mile. Une petite maison en bois pouvant accueillir 6 personnes a été construite juste devant, flanquée d’une terrasse couverte où trônent 6 rocking chairs face à la pièce magistrale. Aucune pollution sonore, aucune pollution visuelle. Ce n’est pas pour rien que Walter De Maria a choisi ce lieu pour y installer son champ de foudre. Il n’y a rien d’humain à des kilomètres à la ronde. Le jeu sublime est d’attendre un orage, et la foudre qui tombe sur les poteaux. La région est réputée pour ses orages fréquents. Le bureau de la Dia Fondation situé dans la rue principale de Quemado gère la pièce et les visites. 6 par 24 heures, de mai à octobre. Il faut réserver plus d’une année à l’avance. J’ai eu la chance de voir cette pièce il y a une dizaine d’années. Tu as rendez-vous au bureau de la Dia Fondation à midi le jour où tu as réussi à avoir une réservation. Tu signes des papiers, tu t’engages à ne pas prendre de photographies (Walter De Maria a voulu cela, il n’existe normalement que 2 photographies officielles). Tu ne prends que le nécessaire pour une nuit, et un employé de la fondation t’emmène en pick-up à 45 minutes de là. Tu passes par de tous petits chemins de terre, parfois le conducteur sort ouvrir puis fermer une barrière sur le passage. C’est un labyrinthe, impossible d’atteindre la pièce seule (je le sais pour avoir tenté de suivre cette voiture en mode discret l’année avant d’avoir réussi à réserver !). Arrivés devant le petit chalet, on te montre les commodités, ton repas du soir dans le frigo, le téléphone de secours si urgence, tu choisis ta chambre. Le conducteur repart, et le lieu est à toi jusqu’à midi le lendemain. Et là c’est grandiose. La lumière sur les poteaux métalliques change au fil de l’après-midi, les reflets du soleil quand il se couche te donne une vision indescriptible. Le silence est intégral. C’est une des plus belles choses que j’ai vécu dans ma vie. Assise sur le fauteuil à bascule, tu scrutes le ciel en attendant un orage, en découvrant les autres personnes qui sont là avec toi. Bien entendu, personne n’est là par hasard, avec mon compagnon de l’époque, nous étions accompagnés d’un couple d’artistes de New York, et de deux amatrices d’art vivant à Marfa (je suis toujours en contact avec l’une d’entre elles que j’appelle « My Lightning Friend »). Et évidemment, en prévision de ce moment magique, tout le monde a apporté une bonne bouteille de vin. Les conversations sont enjouées, mais régulièrement ponctuées de silences contemplatifs. Chacun a au moins une fois parlé aux nuages pour demander un orage. C’est ce qui est magistral dans cette pièce, tu es en connexion et en écoute totale avec le ciel et les éléments. Tu sens que la nature est puissante. Nous n’avons pas eu d’orage cette nuit-là. Mais l’expérience reste inoubliable. J’ai essayé de réserver (déjà l’année dernière) cette année, mais avec le retard dû au Covid, la liste d’attente est longue. Je n’ai pas eu de place. J’aimerais tellement savoir quel est le son de la foudre sur la sculpture. Je suis donc maintenant au Nouveau-Mexique, à quelques kilomètres de cette pièce. Contrairement à ce jour de septembre vécu il y a plus de 10 ans, les 6 personnes qui ont la chance d’être assises dans les fauteuils en bois verront les éclairs ce soir. J’ai changé de fuseau horaire. Ce ne sont plus 9 heures qui nous séparent (de la France), mais 8. Je suis arrivée à Quemado en voiture, l’étape étant impossible à pied. Après avoir quitté le motel et fait le plein d’eau, j’avais rendez-vous avec Virginia, amie de Katharina, qui tient le Bed & Breakfast que j’ai réservé pour cette nuit. Virginia m’emmène en pick-up jusqu’à Quemado. J’ai négocié cela hier au téléphone. Elle arrive à ma rencontre les bras ouverts, look de cow-girl, « Bonjour chère française, je vous ai trouvée. ». Elle veut absolument parler en français, langue qu’elle n’a pas pratiquée depuis ses études et un voyage en France vers sa trentaine d’années. Nous rions beaucoup. Elle emmène l’été ses chevaux dans son ranch sur une mesa, à quelques kilomètres de Quemado, le reste de l’année elle vit près de Tucson. Son mari est argentin, elle est née en Californie, pratique l’aquarelle, adore Carcassonne et me parle longuement de la spiritualité des terres du Nouveau-Mexique. Elle me dit que nulle part ailleurs au monde on se sent si connecté à la nature. Et elle a la classe quand elle remonte son jean en sortant de son pick-up. J’adore l’histoire de Katharina. Elle est allemande. Il y a un peu plus de 25 ans, en Allemagne, elle a perdu son job et sa vie était triste. Elle s’est dit que plutôt que de se jeter d’un pont, il était temps de réaliser son rêve le plus fou. Élever des chevaux aux États-Unis. Quatre ans après, elle était mariée à un cow-boy. Depuis, elle a enterré deux maris et à un boyfriend mexicain. Elle se sent ici chez elle maintenant, même si les restaurants et les bars de Munich lui manquent. On boit un verre de vin au piment. (À partir de maintenant, j’écris complètement ivre). J’avais dit juste un verre, je me lève à l’aube demain pour marcher 36 kilomètres sur la route 60. On a torché la bouteille de vin rouge au piment du Nouveau-Mexique en l’allongeant avec je ne sais quel breuvage et des glaçons quand le vin est devenu trop chaud. Et on a parlé d’amour. D’être une femme, une épouse ou une maîtresse. On s’est confiée comme des amies. Katharina est folle amoureuse de son mexicain déjà marié. Nous avons ri, trinqué, ri et trinqué encore, refait le monde tout pourri en un monde d’amour et d’insouciance, parce que qui sait si on claque demain.


Nowhere is my future.

1-logo1-TRANS-2-Revers.png

<

Mercredi 26 Juillet 2023

Vendredi 28 Juillet 2023

>

1-logo1-TRANS-2.png

La publication de ce journal est soutenue par Les Tanneries - Centre d'Art Contemporain d'intérêt national à Amilly.

les_tanneries_cac_amilly_logo_noir_fond_blanc_cmjn.jpg
Station Mir ・ Festival ]Interstice[
Artothèque de Caen
Logo-Vortex-complet-ok-1.jpg
Association La Belle Époque
354070136_624588352951999_5859786384354686551_n.jpg
bottom of page