WEST
Épitaphes pour Nulle part
Extraits du Journal de marche ROAD TO NOWHERE de Lydie Jean-Dit-Pannel,
sélectionnés par Nicolas Laura Graff
2022
Pendant plus de 5 ans, j’ai mené des workshops en forêt. Nous partions, à l’automne puis au printemps, une semaine complète avec caméras, appareils photos et unités son. La forêt était notre atelier. Nous étions devenus une petite bande, un gang, une équipe. Lors de nos discussions enflammées du soir, sous les arbres ou autour d’une table, alors que chaque étudiant.e parlait de ses projets et réalisation en cours, ou tout simplement que nous tentions de repenser le monde, ou de l’oublier, l’un.e d’entre nous, à tour de rôle, était chargé.e de prélever dans nos échanges des phrases, des mots, qui pourraient devenir épitaphes une fois gravés dans de la pierre. Nous en avons des centaines. De quoi faire un beau livre.
Nicolas Laura Graff a participé à tous les workshops, même après avoir obtenu brillamment son diplôme. Il n’a jamais cessé cette pratique de prélèvement, même si les workshops « A Forest » n’ont plus eu lieu depuis la pandémie. Durant les 3 mois et demi de ma marche performative vers Nulle part, alors que chaque jour il gérait la publication de mon journal de marche sur les réseaux et sur le site dédié au projet, il a continué ce geste. Cela donne une pièce écrite qui me touche terriblement.
Mon ombre n’est pas apparue aujourd’hui, alors je vous salue ici.
Coeur de cauchemar.
Cela commençait à être pesant.
Comme une petite plainte lancinante lointaine.
C’est fou à quel point ce pays a besoin de héros.
Abandonné.e.
Mes kilomètres se mangent tous seuls.
Éreinté.e, mais heureux.se d’être là.
Après un siècle d’insolation possible.
Hier soir, grâce à vous je suis enfin sorti.e de prison.
C’est déjà du passé.
Cette odeur rassurante d’éternité.
Sans le stress du tonnerre et des éclairs.
Les paysages se ressemblent mais le dialogue des oiseaux est différent.
J’ai retrouvé le goût mais pas l’appétit.
Douceur triste.
Une éternité éternelle.
À fleur de peau.
Il n’y a que la Terre qui endure.
Comme presque chaque jour, c’est infini.
Tout mon respect.
Cela m’a serré le cœur.
Tu y es déjà allé.e seul.e.
Tout se lâche.
Nulle part est si proche.